Défaut ou pas, la bataille de 2011 sur le plafond de la dette est riche d’enseignements pour les investisseurs d’aujourd’hui

Pas de temps à perdre dans le différend sur le plafond de la dette

Le conflit actuel s’est intensifié en janvier 2023, quand le gouvernement a officiellement atteint son plafond d’endettement. Ceci a poussé la secrétaire au Trésor américain Janet Yellen à mettre en œuvre des mesures extraordinaires de gestion de trésorerie pour que le gouvernement puisse continuer à emprunter tout en puisant dans ses liquidités encore disponibles.

Jusqu’à récemment, il semblait que le département du Trésor pourrait continuer à s’appuyer sur de telles mesures jusqu’en juillet ou août sans prendre de retard sur ses obligations et sans dépasser le plafond actuel de la dette, qui s’élève à environ 31,4 billions de dollars. Toutefois, le 1er mai, Mme Yellen a averti les législateurs que le délai s’était encore raccourci compte tenu de la trajectoire récente des recettes fiscales et des dépenses. Dans une lettre adressée aux chefs de file du Congrès, elle a affirmé que le gouvernement pourrait se retrouver à court de liquidités dès le 1er juin « si le Congrès ne relève pas ou ne suspend pas le plafond de la dette d’ici là », ajoutant qu’en fonction des dépenses et des recettes fiscales de la fin du printemps, la date butoir pourrait se situer « plusieurs semaines plus tard ». 

Cette situation préoccupante est imputable aux dépenses budgétaires élevées, que les mesures de relance surdimensionnées prises à la suite de la pandémie de COVID-19 n’ont fait qu’exacerber. Nous pensons en outre qu’une baisse récente des recettes fiscales a assombri les perspectives à court terme. Ces recettes dépendent fortement des gains en capital imposable réalisées sur des actifs sensibles aux taux d’intérêt, dont bon nombre ont enregistré des pertes pendant la baisse généralisée des actifs de 2022.  

Origine des batailles autour du plafond de la dette

Si l’on examine le budget de l’État dans son ensemble, on constate que, la plupart du temps, les dépenses ont dépassé les recettes fiscales. Ces écarts ont été comblés par la dette publique, ce qui a conduit à l’augmentation du niveau de la dette nationale. Bien que dans toute législation, il soit possible de combiner la dette et les dépenses, rappelons que c’est là une question distincte. En effet, le relèvement du plafond de la dette n’autorise pas de nouvelles dépenses publiques et ne permet que de débloquer des paiements pour des engagements autorisés antérieurement. Si le plafond de la dette n’est pas relevé, les versements à des programmes sociaux tels que la sécurité sociale et l’assurance-maladie pourraient être interrompus, de même que le paiement des intérêts sur les obligations du Trésor américain. 

L’intérêt d’éviter une défaillance semble évident. En revanche, la menace d’une défaillance peut devenir un outil politique permettant aux partis d’opposition d’obtenir des concessions du parti au pouvoir, avec pour conséquence des querelles partisanes semblables à celles que nous connaissons aujourd’hui. Au moment où nous écrivons ces lignes, nous considérons que le dénouement le plus probable à la situation actuelle est un relèvement du plafond de la dette. En effet, depuis 1960, le Congrès a décidé à 78 reprises de relever de façon permanente le plafond de la dette, de l’étendre temporairement ou d’en réviser la définition. Nous devons néanmoins envisager d’autres solutions, car, à mesure que les négociations sur le plafond de la dette s’éternisent, l’érosion de la confiance des consommateurs peut à elle seule détériorer l’économie. De fait, toute défaillance temporaire risque de compromettre la solvabilité du pays, de pénaliser les bénéficiaires des versements prévus au titre des programmes sociaux et de nuire aux investisseurs en obligations du Trésor. Bien que nous considérions le scénario d’une défaillance à plus long terme ou permanente comme hautement improbable pour l’instant, une telle issue pourrait créer des problèmes systémiques.

Enseignements pour les investisseurs de la bataille de 2011 sur le plafond de la dette 

Alors que les difficultés actuelles se prolongent, nous pensons que les enseignements de notre analyse de la bataille sur le plafond de la dette du gouvernement américain en 2011 sont pertinents pour les investisseurs et leurs portefeuilles. Les deux conflits ont eu lieu dans un contexte de gouvernement divisé, les républicains ayant repris la majorité à la Chambre des représentants plus tôt dans l’année, tandis qu’un démocrate occupait la Maison-Blanche. Dans les deux cas, les républicains de la Chambre des représentants ont utilisé la nécessité de relever le plafond de la dette comme levier pour réduire le déficit et rééquilibrer le déficit du budget fédéral. En 2011, la résolution du conflit conduisit finalement à l’adoption de la Loi de 2011 sur le contrôle budgétaire qui prévoyait de relever le plafond de la dette en deux étapes avec pour intention de plafonner les dépenses discrétionnaires.

Pour mieux comprendre la crise du plafond de la dette de 2011, il faut s’intéresser à la chronologie des événements précédant la date limite de relèvement du plafond de la dette, en août de cette année-là. En avril, pour la première fois, l’agence de notation Standard & Poor’s avait revu à la baisse ses perspectives de stables à négatives pour la note AAA (réservée aux obligations de première qualité) qu’elle attribuait à la dette souveraine des États-Unis. Ce faisant, l’agence avait averti qu’elle pourrait abaisser cette note en dessous de AAA si le Congrès et le président Obama ne parvenaient pas à mettre en place un plan crédible de réduction des déficits. Trois mois plus tard, le 31 juillet – quelque 72 heures avant l’épuisement annoncé de la capacité d’emprunt du pays en l’absence d’un relèvement du plafond de la dette – le Congrès et le président annoncèrent un accord de réduction du déficit et, par conséquent, de relèvement du plafond de la dette. La mesure fut promulguée le 2 août après avoir été approuvée par le Congrès. Pourtant, au lendemain de cet accord, le 5 août, Standard & Poor’s concrétisa sa perspective négative en abaissant d’un cran la note de la dette souveraine américaine, à AA+.

Durant le printemps et l’été de 2011, le marché boursier avait été lent à tenir compte de la menace de plus en plus sérieuse que représentait le plafond de la dette, tandis que l’Europe était également aux prises avec sa propre crise de la dette souveraine. L’indice S&P 500, par exemple, atteignit son pic de 2011 à la fin du mois d’avril, avant de se replier puis de repartir à la hausse à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet. La forte baisse ne débuta que le 27 juillet, trois jours avant l’annonce durant la fin de semaine que le Congrès et le président Obama étaient parvenus à un accord sur la réduction des déficits. Le 8 août, premier jour de négociation suivant la dégradation de Standard & Poor’s, l’indice avait perdu près de 16 % par rapport à son niveau de clôture du 26 juillet. L’indice chuta pendant huit des neuf jours de bourse de cette période, avant d’atteindre un creux (il finit par chuter de 2 % supplémentaires, atteignant un nouveau creux le 3 octobre, mais le mal était déjà fait).

Source : FactSet, 2023. L’indice S&P 500 suit le rendement des 500 plus grandes sociétés inscrites en bourse aux États-Unis. Il n’est pas possible d’investir directement dans un indice. Les rendements passés ne garantissent pas les résultats futurs.

Comme il fallait s’y attendre, les pires rendements sectoriels de l’indice S&P 500 furent ceux des secteurs cycliques, généralement très sensibles à l’évolution des perspectives économiques, comme la finance, les matières premières et les produits industriels. Ceux qui s’en sortirent le mieux furent les secteurs historiquement défensifs, comme les services publics, la consommation de base et les soins de santé. Après son point bas d’octobre, l’indice se redressa et clôtura l’année 2011 pratiquement à l’équilibre. Les turbulences du marché en 2011 ne se limitèrent pas aux États-Unis, puisque les indices MSCI Monde et MSCI EAEO enregistrèrent tous deux des baisses similaires durant l’année, et ce sans bénéficier de la reprise de fin d’année observée aux États-Unis¹.

Conséquences pour aujourd’hui

À mesure que l’échéance du plafond de la dette approche, nous nous attendons à ce que le département du Trésor américain prenne des mesures extraordinaires pour couvrir le manque et puiser dans ses réserves de liquidités, habituellement maintenues autour de 500 milliards de dollars. L’autre question à examiner est donc celle des mesures que pourrait prendre le Trésor après un éventuel accord de relèvement du plafond de la dette (qui nous semble être le scénario le plus probable à l’heure où nous écrivons ces lignes). À quelle vitesse la secrétaire d’État au Trésor, Mme Yellen, pourrait-elle envisager de renflouer les réserves de liquidités de son institution? Une telle démarche pourrait entraîner un assèchement plus généralisé des liquidités du système financier, ce qui pourrait avoir des répercussions sur la liquidité des marchés. 

Tant que cette question n’est pas résolue, nous ne pensons pas qu’il soit déraisonnable de s’inquiéter de la possibilité d’une paralysie des services publics, d’une défaillance des États-Unis et d’une répétition de la volatilité liée au plafond de la dette, comme en 2011. Dans un environnement aussi incertain que celui-ci, nous conservons une vision favorable des entreprises qui présentent de solides caractéristiques de qualité – des forces qui, selon nous, permettent à certaines d’entre elles de se distinguer de leurs pairs. Ces entreprises sont pour l’essentiel celles qui offrent une croissance durable du flux de trésorerie disponible et un potentiel de protection contre les replis lorsque la conjecture se détériore – des caractéristiques dont nous estimons qu’elles pourraient s’avérer de plus en plus importantes dans le contexte actuel. 

1 FactSet, 2023. L'indice S&P 500 suit les performances des 500 plus grandes sociétés cotées en bourse aux États-Unis. L'indice MSCI World suit la performance des actions de sociétés de grandes et moyennes capitalisations cotées en bourse dans les marchés développés. L'indice MSCI Europe, Australasie et Extrême-Orient (EAFE) suit la performance des actions de sociétés de grandes et moyennes capitalisations cotées en bourse dans ces régions. Il n'est pas possible d'investir directement dans un indice. Les performances passées ne garantissent pas les résultats futurs.