Pourquoi la COP15 marque un tournant pour l’investissement écoresponsable
La conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), qui s’est tenue à Montréal en décembre 2022, a été un moment charnière en ce qui a trait à la protection de la biodiversité. Elle a permis d’adopter un accord international qui pourrait transformer l’investissement écologique au même titre que l’Accord de Paris de 2015.
Signé par près de 200 pays, le Cadre mondial pour la biodiversité stimulera les investissements dans des activités qui protègent la biosphère et obligera les entreprises à régulièrement évaluer et divulguer les risques de leurs activités pour la biodiversité.
L’accord s’appuie sur des objectifs ambitieux. Son but est de mettre un terme à la perte de biodiversité d’ici 2030 et de renverser la vapeur d’ici 2050.
C’est pour cela qu’il est comparé à l’Accord de Paris. Bien que la mise en œuvre complète de cet accord conclu en 2015 soit ardue, il a permis d’aligner les flux financiers et les portefeuilles de placements sur les objectifs climatiques, mobilisant des centaines de milliards de dollars en faveur de nouveaux placements. Nous pensons que le Cadre mondial pour la biodiversité aura le même effet financier.
La protection de la planète ne se résume pas à la seule carboneutralité. Nous devons lutter contre les changements climatiques et restaurer la biosphère ensemble.
Parmi les principales caractéristiques de l’accord sur la biodiversité, citons les engagements visant à accroître la préservation des terres et de l’eau, à réduire la pollution et à tenir compte de la biodiversité dans un large éventail de politiques nationales. Cet accord contient également des promesses de réduction des subventions néfastes et prévoit la mobilisation de fonds en faveur des plans nationaux concernant la biodiversité d’ici 2030.
En résumé, il fait comprendre aux responsables des orientations politiques, aux entreprises et aux investisseurs que la protection de la planète ne se résume pas seulement à la carboneutralité. Nous devons réduire les émissions de gaz à effet de serre et rétablir la biosphère ensemble.
Néanmoins, le Cadre mondial pour la biodiversité n’est pas parfait. Par exemple, il ne fixe aucun objectif spécifique par pays et n’est pas légalement contraignant. Cependant, sa tonalité est suffisamment puissante pour que les entreprises et les investisseurs ne puissent plus ignorer cet aspect environnemental essentiel.
La cible 15 de cet accord est celle qui s’adresse le plus aux entreprises et aux investisseurs. Elle exige des grandes entreprises et des institutions financières qu’elles évaluent et divulguent leurs effets sur la biodiversité, ainsi que les risques auxquels elle s’expose en cas de perte de biodiversité¹.
Cette exigence touche l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise. Pour les institutions financières, les dispositions s’appliquent aussi aux placements en portefeuille.
La cible 14 est aussi importante. Elle exige l’alignement des flux financiers publics et privés sur les objectifs et les cibles de l’accord, ce qui devrait permettre d’intensifier les mesures du secteur des services financiers.
Ces objectifs représentent un pas important dans l’élaboration d’une politique environnementale mondiale parce qu’ils sont mesurables et font l’objet de suivis, de bilans et d’examens périodiques.
La nouvelle normalité : la divulgation des risques sur la biodiversité
La divulgation des risques sur la biodiversité des activités des entreprises pourrait bientôt devenir la norme.
Plus tard cette année, le Groupe de travail sur l’information financière relative à la nature, un forum du secteur privé représentant les institutions financières et les sociétés ayant plus de vingt milliards de dollars américains d’actif géré, entend publier un nouveau cadre de divulgation des sociétés couvrant un large éventail d’éléments. Ce cadre vise notamment de l’utilisation des écosystèmes d’eau douce, marins et terrestres, de pollution de l’eau et des perturbations biologiques.
Pour sa part, l’International Sustainability Standards Board, organisme qui établit une norme mondiale de divulgation des sociétés concernant l’écoresponsabilité des entreprises, prévoit d’ajouter la biodiversité à ses règles de divulgation des renseignements relatifs aux risques climatiques au début de 2023. La divulgation plus systématique permettra aux investisseurs de mieux évaluer les risques associés à l’environnement propres aux entreprises.
Ces risques se répartissent en trois grandes catégories :
- Transition – coûts découlant de la réglementation, des actifs délaissés et des changements de préférences chez les consommateurs
- Aspects physiques – conséquences financières sur les entreprises de la perte de biodiversité et de la perte de fonction des écosystèmes dont elles dépendent
- Responsabilité – litiges et demandes d’indemnisation générales associés à la perte de biodiversité et aux violations de la loi
Combler l’écart de financement
Le Cadre mondial pour la biodiversité devrait également conduire à un réaménagement de la répartition du capital. Plus la protection de la biodiversité devient importante, plus elle devrait offrir de nouvelles occasions de placement dans les écoservices et le capital naturel.
On estime que le monde devrait dépenser près de 1 000 milliards de dollars américains par année pour obtenir des résultats positifs en matière de biodiversité. Il faudrait investir, par exemple, dans des chaînes d’approvisionnement durables, des produits financiers « verts », des déductions liées à la biodiversité, les marchés du carbone et des solutions climatiques naturelles. Or, actuellement, ce montant ne s’élève qu’à 143 milliards de dollars américains².
Quant à lui, le Cadre mondial pour la biodiversité demande aux secteurs public et privé de mobiliser au moins 200 milliards de dollars américains de capital par année et de les investir dans des mesures de conservation (un montant nettement supérieur au financement actuel, mais bien loin de combler l’écart).
On a remarqué une augmentation régulière des placements liés à la biodiversité et au capital naturel au cours des dernières années. Parmi ceux-ci, on compte les obligations émises par des sociétés qui visent à minimiser la perte de biodiversité et à capitaliser sur le potentiel de croissance du capital à long terme.
Ces fonds ont pour but de contribuer à l’intégration de pratiques commerciales durables et régénératrices dans l’ensemble de la chaîne de valeur, y compris dans des secteurs tels que l’agriculture, la foresterie, la pêche, les matériaux, l’immobilier, la consommation discrétionnaire et la consommation de base, les technologies de l’information, les services publics et les produits pharmaceutiques.
La Food and Land Use Coalition estime que la transformation de l’utilisation actuelle des terres et des aliments en faveur de pratiques régénératives et circulaires pourrait créer un marché de la biodiversité valant 4,5 billions de dollars américains d’ici 2030³.
Point de vue du professeur Garry Peterson, du Stockholm Resilience Centre, qui est à la tête d’un programme visant à raviver la biodiversité par le financement
Le Cadre mondial pour la biodiversité a commencé à s’attaquer à deux facteurs indirects de la perte de biodiversité : d’une part, la suppression et la réforme des subventions qui induisent la destruction de la biodiversité et, d’autre part, la transformation des incitatifs qui structurent mondialement les finances et le commerce d’une perspective de destruction de la biodiversité vers des mesures qui favorisent la biodiversité et créent une richesse globale.
Nous pensons qu’enrayer la perte de biodiversité et que renverser la vapeur nécessite plus que les mesures proposées par le Cadre mondial pour la biodiversité.
Des décennies de recherches scientifiques, résumées dans la récente évaluation mondiale intitulée Biodiversité et les services écosystémiques : plateforme intergouvernementale, prouvent que les politiques doivent s’attaquer aux forces sociales indirectes qui causent la perte de biodiversité, particulièrement à l’utilisation et à la consommation de matières premières par les pays riches qui entraînent la destruction du monde vivant.
Cependant, cet accord ne contient aucune cible qui vise la production et la consommation destructrices extrêmement inégales dans le monde. C’est un défi essentiel, mais monumental, qui nécessitera de surmonter les obstacles provenant d’une variété d’acteurs puissants qui bénéficient du statu quo.
Dans l’ensemble, l’accord inclut plus de choses que ce à quoi je m’attendais (et plusieurs autres personnes aussi), mais il manque des aspects nécessaires. Il fournit néanmoins un cadre d’action. Même si les mesures seront inégales, elles accéléreront la restauration de la biodiversité.
Il tient aussi compte des aspects éthiques et des questions de gouvernance en matière de tarification de la biodiversité. Il devra également résumer les enseignements tirés des initiatives antérieures et actuelles sur les marchés et étudier les risques et les possibilités qui se poseront.
Pour en savoir plus, rendez-vous à l’adresse https://www.stockholmresilience.org (en anglais).
1 « COP15: nations adopt four goals, 23 targets for 2030 in landmark UN biodiversity agreement », Convention on Biological Diversity, https://www.cbd.int/article/cop15-cbd-press-release-final-19dec2022 2 The Nature Conservancy, https://www.nature.org/en-us/what-we-do/our-insights/perspectives/closing-nature-finance-gap-cbd/ 3 « Growing Better: Ten Critical Transitions to Transform Food and Land Use », Food and Land Use Coalition, septembre 2019, https://www.foodandlandusecoalition.org/wp-content/uploads/2019/09/FOLU-GrowingBetter-GlobalReport.pdf
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