Inde : les perspectives à long terme restent intéressantes, malgré les importants défis à court terme

L’Inde est actuellement confrontée à d’importants défis à court terme, notamment la pandémie de COVID-19 et le ralentissement déjà existant de l’économie informelle. Nous présentons la situation actuelle, la réaction des décideurs et comment ces deux points façonnent notre opinion. Pour finir, nous expliquons pourquoi les investisseurs doivent rester concentrés sur les thèmes positifs à long terme en Inde. 

La pandémie de COVID-19 est une crise mondiale sans précédent, dont les répercussions devraient dominer les marchés mondiaux et attirer l’attention des décideurs au moins à court terme.

Jusqu’en février, l’Inde était relativement épargnée par la COVID-19 par rapport à d’autres pays. Après que l’Organisation mondiale de la santé eut qualifié la maladie de pandémie, le gouvernement indien a imposé plusieurs restrictions¹et a par la suite décrété, le 24 mars, des mesures de confinement à l’échelle nationale qui devraient prendre fin le 3 mai. Le nombre total de cas confirmés en Inde a atteint 29 451². Ce nombre reste faible si l’on considère l’importante de la population de l’Inde. Bien que le nombre de cas puisse être sous-estimé en raison du faible nombre de tests administrés en Inde (environ 492 tests par million de personnes), le pourcentage de résultats positifs (infections/tests) reste faible à 4,4 %, malgré le fait que la plupart des tests sont effectués sur des personnes présentant un risque d’infection élevé³.

Les mesures de confinement semblent fonctionner, puisque le taux de croissance composé quotidien des infections sur une période de cinq jours est passé de 18,0 % le 31 mars à 7,0 % le 27 avril. Les cas de COVID-19 sont assez concentrés : le 21 avril, 61 districts sur un total de 717 districts en Inde comptaient plus de 50 cas.

Nous sommes conscients de toute l’incertitude que suscite une pandémie; cependant, certains signes positifs émergent en Inde : (a) un pourcentage plus faible de résultats positifs aux tests, b) la baisse du taux de croissance des nouveaux cas et c) la détection rapide des points chauds et les mesures musclées prises pour enrayer la propagation du virus.

À court terme, nous nous attendons à ce que le nombre de nouveaux cas augmente, mais à un rythme plus lent. Cela dit, au cours des 30 prochains jours, nous prévoyons qu’un plan d’assouplissement progressif des mesures de confinement sera mis en place. En effet, certaines entreprises ont déjà été autorisées à reprendre leurs activités, dans la mesure où elles respectent les mesures de distanciation sociale, dans certains des districts les moins touchés.

En réaction aux répercussions économiques des mesures de confinement, le gouvernement a annoncé en mars un programme de relance d’une valeur d’environ 23 milliards de dollars US, soit environ 0,8 % du PIB, qui procure une aide alimentaire et un revenu minimum aux ménages les plus pauvres. Les mesures prennent la forme de virements en espèces, d’un soutien à l’emploi, d’un soutien au crédit et d’un soutien alimentaire.

Bien qu’il s’agisse des premières mesures essentielles pour soutenir l’économie, nous croyons que les décideurs doivent prendre des mesures plus audacieuses pour contrer cette menace économique sans précédent. La taille du programme de relance actuel ne permettra pas de compenser efficacement la perte de production estimée à environ 6,0 % à 8,0 % du PIB.

« Bien que le débat sur la question de savoir si l’Inde dispose de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour mettre en place des mesures de relance substantielles soit légitime, il est important de noter que le programme de soutien de l’Inde est de loin le moins ambitieux, en pourcentage du PIB, des 10 plus grandes économies mondiales. »

Nous pensons que d’autres mesures seront annoncées au cours des prochaines semaines, lorsque le plan d’assouplissement des mesures de confinement sera annoncé. Cela sera d’une importance capitale : en l’absence de mesures adéquates, une perte importante de production pourrait avoir des répercussions sur les habitudes de consommation et amplifier les pressions cycliques qui étaient déjà visibles au sein de l’économie avant même les mesures de confinement.

Bien que le débat sur la question de savoir si l’Inde dispose de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour mettre en place des mesures de relance substantielles soit légitime, il est important de noter que le programme de soutien de l’Inde est de loin le moins ambitieux, en pourcentage du PIB, des 10 plus grandes économies mondiales⁵. Nous pensons que les décideurs trouveront le moyen de mettre en place, en cette période sans précédent, des politiques non conventionnelles.

Si les décideurs indiquent clairement que les politiques non conventionnelles sont destinées à répondre à des événements bien précis pour une durée déterminée et qu’elles prendront fin une fois les objectifs atteints, nous pensons que la stabilité macrofinancière ne sera pas compromise. Les investisseurs pourraient commencer à se concentrer sur une éventuelle reprise de l’économie à moyen terme, si un plan de relance budgétaire ciblé parvenait à limiter le recul dans l’immédiat.

Elle est également intervenue pour fournir une liquidité suffisante afin de contrer un arrêt soudain de l’activité économique qui aurait une incidence négative sur le chiffre d’affaires et les flux de trésorerie des sociétés.

Les dernières mesures incluent ce qui suit :

• Le 27 mars, la Banque de réserve de l’Inde a réduit le taux directeur de 75 points de base (pb) à 4,4 %. Pour accroître la liquidité, elle a dévoilé un plan de soutien d’une valeur totale de 3 750 milliards de roupies indiennes (environ 50 milliards de dollars US, soit 1,7 % du PIB) comprenant différents programmes, dont une série d’opérations de refinancement à long terme ciblées.
• Elle a également ordonné à toutes les institutions de prêt d’accorder un délai de trois mois aux emprunteurs pour le remboursement de tous les prêts à terme.
• Le 17 avril, elle a renforcé ses mesures concernant la liquidité en annonçant une autre série d’opérations de refinancement à long terme ciblées visant à procurer de la liquidité aux institutions non bancaires. Pour encourager le crédit, la Banque de réserve de l’Inde a réduit le taux d’intérêt qu’elle verse aux banques qui placent leurs liquidités excédentaires.

Nous pensons que ces mesures stabiliseront le marché et assoupliront les conditions financières. Une fois que le gouvernement aura établi son plan budgétaire définitif, nous nous attendons à ce que la Banque de réserve de l’Inde prenne d’autres mesures, dont certaines pour gérer l’offre d’obligations.

Bien que les mesures de confinement soient nécessaires pour éviter une crise sanitaire, leur coût économique sera considérable, car elles ont perturbé l’activité dans la plupart des secteurs. Notre scénario de base prévoit, selon les hypothèses actuelles⁷, une perte de production de 6,0 % à 8,0 % du PIB annuel et une augmentation du déficit budgétaire, puisque les recettes publiques devraient baisser.

Nous nous attendons à ce que la reprise économique soit graduelle, car certaines mesures de distanciation sociale devront être respectées à moyen terme pour éviter une nouvelle vague d’infections. Cela entraînera une reprise inégale des différents secteurs. Les entreprises qui dépendent des rassemblements de personnes, comme les commerces de détail, les hôtels, les sociétés du tourisme, les cinémas, les expositions et les sociétés de construction, pourraient continuer d’être soumises à des restrictions et de connaître une faible activité. Par contre, les secteurs qui s’adaptent à la distanciation sociale, notamment la mobilité individuelle, les aliments emballés, les télécommunications, l’amélioration résidentielle, l’automatisation, l’électroménager et l’électronique grand public, devraient repartir plus rapidement.

Malgré un contexte favorable à long terme pour les actions indiennes, l’économie a été confrontée à des défis cycliques précis avant même la pandémie de COVID-19 :

• Les réformes du gouvernement ont soutenu le secteur formel au cours des dernières années; cependant, les revenus du secteur informel en ont souffert.
• La croissance du crédit parmi les sociétés financières non bancaires a progressivement diminué en raison du gel du marché monétaire de gros pendant la majeure partie de 2019. Cela a eu une incidence sur la croissance globale du crédit, en particulier dans le secteur informel.

Les mesures de confinement actuellement en vigueur en Inde amplifieront ces problèmes cycliques existants. À moins que l’économie ne soit soutenue par des mesures de relance adéquates, l’arrêt soudain de l’activité économique aura une incidence sur le revenu et l’épargne. 

Avant l’apparition de la COVID-19, le gouvernement et la Banque de réserve de l’Inde avaient déjà commencé à prendre des mesures pour répondre aux problèmes cycliques. Le gouvernement s’est concentré sur les politiques structurelles à long terme pour encourager les investissements et la création d’emplois, tandis que la Banque de réserve de l’Inde a réduit les taux d’intérêt et a amélioré la liquidité de l’économie réelle. 

• Réduction du taux d’imposition des sociétés sur les nouveaux investissements afin de favoriser la formation de capital et d’attirer les investissements étrangers.
• Suppression de l’impôt sur les dividendes afin d’encourager l’investissement dans le secteur privé.
• Simplification du régime d’imposition des particuliers – une mesure qui s’inscrit dans la simplification du code de l’impôt sur le revenu.
• Élargissement du programme PM-KISAN, qui transfère directement de l’argent à certains agriculteurs.
• Augmentation des dépenses pour des projets à long terme, comme les routes rurales, l’irrigation, l’entreposage et le transport, afin d’améliorer la productivité de l’économie.

• Opération Twist – À la mi-décembre 2019, la Banque de réserve de l’Inde a annoncé l’achat d’obligations à long terme et la vente simultanée d’obligations d’État à court terme dans le cadre de son programme d’opérations d’open market. Il s’agit d’un outil qui ressemble beaucoup à l’Opération Twist qui a été utilisée par la Réserve fédérale des États-Unis de la fin de 2011 à la fin de 2012 pour gérer la courbe des taux, une politique qui a permis de faire baisser les taux à long terme.
• Opérations de prise en pension à long terme – Lors de sa réunion en février, la Banque de réserve de l’Inde a annoncé le rachat à long terme d’obligations à un an et à trois ans, un programme qui représentait 1 000 milliards de roupies indiennes (0,5 % du PIB), visant à maintenir les taux d’intérêt à court terme conformes à la récente réduction du taux directeur⁸. Avec l’Opération Twist, cette mesure stratégique devrait non seulement réduire les taux d’intérêt, mais aussi injecter des liquidités dans l’économie réelle.
• Assouplissement ciblé des conditions de crédit – Malgré une meilleure liquidité et la réduction des taux par la Banque de réserve de l’Inde, la transmission du crédit est demeurée un problème persistant au cours des derniers trimestres, tant sur le plan quantitatif que sur celui du coût du crédit. Malgré une réduction du taux directeur de 135 pb (jusqu’en février 2020), le taux moyen pondéré des nouveaux prêts bancaires en roupies n’avait diminué que de 69 pb⁹. Pour remédier à la situation, la Banque de réserve de l’Inde a abaissé les exigences en matière de réserves obligatoires pour les prêts automobiles et les prêts aux microentreprises et aux PME, et elle a accordé aux banques une certaine souplesse en reportant d’un an la classification des prêts immobiliers commerciaux lorsque les projets ont été reportés pour des raisons indépendantes de la volonté des promoteurs immobiliers.

Malgré ces deux problèmes à court terme, nous ne modifions pas nos prévisions à long terme concernant l’Inde. En effet, nous avons indiqué dans nos commentaires précédents que nos perspectives optimistes à l’égard des actions indiennes reposent sur les réformes structurelles que le gouvernement actuel a entreprises au cours de son premier mandat. Ces mesures ouvrent la voie à une croissance qui repose l’officialisation. 

Nous avons également fait valoir qu’avec ces piliers fondamentaux en place, le gouvernement indien réélu a une occasion unique de revitaliser la croissance économique au moyen des « 3R » :

• Recyclage – Financer les dépenses publiques par la privatisation des sociétés d’État.
• Reconstruction – Augmenter l’épargne en offrant des réductions d’impôt au secteur privé et aux ménages.
• Réinvestissement – Offrir des incitatifs aux sociétés manufacturières afin qu’elles les réinvestissent pour remplacer les importations et accroître la part des exportations du pays sur le marché mondial.

Nous pensons que les 3R devraient contribuer à résoudre les problèmes de croissance cyclique de l’Inde grâce à l’augmentation des dépenses publiques et de l’épargne du secteur privé et des ménages, et à la création d’emploi favorisée par les nouveaux investissements.

Parallèlement, certains points des 3R pourraient être retardés en raison de la COVID-19, comme le recyclage (privatisation des entreprises d’État). Nous sommes d’avis que les décideurs devront adopter des solutions novatrices, ce qu’ils feront en augmentant les dépenses publiques et en prenant d’autres mesures.

« Selon nos estimations, chaque recul de 10 $ US du prix du pétrole brut ajoute environ 13 milliards de dollars US au compte courant du pays. »

Nous pensons que les décideurs indiens sont relativement bien placés pour atteindre cet objectif en raison de l’abondance des réserves de change du pays et du faible endettement à court terme auprès d’entités étrangères, ce qui contribue à la bonne santé du compte de capital. De plus, les perspectives de l’inflation au pays restent modestes et, bien que la situation budgétaire pourrait se détériorer, le récent effondrement des prix du pétrole brut pourrait transformer le déficit du compte courant en excédent.

En effet, la correction marquée des prix du pétrole brut devrait demeurer un catalyseur pour les marchés, car l’Inde est un gros importateur de pétrole brut. La baisse de la facture des importations et l’augmentation du solde du compte courant seront une bonne chose pour l’Inde. Selon nos estimations, chaque recul de 10 $ US des prix du pétrole brut ajoute environ 13 milliards de dollars US au compte courant du pays¹. Cela va favoriser l’épargne et permettre à la Banque de réserve de l’Inde de conserver une politique conciliante, car une baisse de 40 $ US du prix du pétrole pourrait se traduire par une économie totale d’environ 50 milliards de dollars US.

Dans l’ensemble, la pandémie de COVID-19 accélérera la croissance fondée sur l’officialisation qui alimente notre optimisme à long terme à l’égard des actions indiennes. Le marché boursier, qui est représenté par le secteur organisé, devrait devenir plus robuste et gagner des parts de marché. Sortir de cette période difficile nécessitera une certaine solidité financière et une capacité de gestion pour réorienter la stratégie et les activités des entreprises, lorsque l’activité économique reprendra dans un contexte de distanciation sociale.

Dans le contexte actuel, nous pensons que les sociétés et les secteurs suivants sont susceptibles d’obtenir de bons résultats :

1. Les sociétés qui tireront profit des nouvelles normes de distanciation sociale et de télétravail lorsque l’activité économique reprendra après l’assouplissement des mesures de confinement. Les secteurs comprennent la mobilité personnelle (deux roues), la domotique et l’amélioration résidentielle (appareils électroniques grand public, électroménagers, peinture décorative), les produits d’hygiène personnelle, les aliments emballés et les télécommunications.
2. Les sociétés capables de remplacer les importations, qui profiteront de la politique du gouvernement visant à encourager la fabrication au pays (sociétés de fabrication de produits électroniques), et les sociétés capables de produire certains produits venant de Chine (en raison de la guerre commerciale), tels que les produits chimiques spécialisés et les produits pharmaceutiques. Nous nous attendons également à ce que certaines sociétés qui exportent des services de technologie de l’information soient avantagées, car elles permettent le télétravail partout dans le monde.

Pour finir, nous croyons également que certaines sociétés se porteront moins bien – les secteurs susceptibles de souffrir de la distanciation sociale sont ceux du commerce de détail, des loisirs, des voyages, de l’hébergement et de l’immobilier commercial. Les sociétés endettées dont les coûts fixes sont élevés risquent une baisse disproportionnée de leurs résultats pendant le confinement.

La correction du marché boursier indien a été semblable à celle des autres pays en mars et en avril, et les valorisations sont maintenant inférieures au niveau médian sur 10 ans. Bien qu’il soit possible que les bénéfices soient encore revus à la baisse à court terme, nous pensons qu’ils se normaliseront à moyen terme. Nous croyons que l’Inde conserve des perspectives de croissance défensive et locale, et que ses exportations devraient lui permettre de gagner des parts du marché mondial. 

Pour finir, les investisseurs devraient aussi être conscients des risques qui menacent nos perspectives optimistes à moyen terme. Parmi ces risques, notons la réaccélération du nombre de cas de COVID-19 ou une deuxième vague de cas après le redémarrage de l’économie. Des risques pourraient également survenir si la période de confinement est prolongée ou si les mesures budgétaires du gouvernement venaient à décevoir. 

1 Les mesures comprennent la fermeture des frontières par la suspension des visas et des mesures nationales comme la fermeture des écoles, des collèges et des lieux publics. 2 MOHFW India, au 27 avril 2020. 3 Données en date du 22 avril 2020, MOHFW India. 4 Credit Suisse Research, au 21 avril 2020. 5 « Policy responses to COVID-19: Policy tracker », IMF, au 27 avril 2020. 6 La facilité permet aux banques d’emprunter au taux directeur, inclut l’achat de papier commercial et d’obligations de première qualité, et réduit le ratio des réserves de 100 pb (ce qui donne plus de liquidités aux banques). 7 Les mesures de confinement les plus strictes seront en vigueur pendant environ un mois. 8 « RBI Announces Two Long-Term Repo Operations in March », Bloomberg, 25 février 2020. 9 Banque de réserve de l’Inde, Citigroup, février 2020. 10 Gestion de placements Manuvie, 12 mars 2020. 11 Bloomberg, au 24 avril 2020.