Les banques américaines pourront offrir un potentiel inexploité... quand l’économie aura renoué avec la normalité

Les marchés ont accueilli favorablement l’intervention rapide et musclée de la Réserve fédérale américaine, mais l’une de ses mesures — une salve de réductions de taux d’intérêt — a assombri les perspectives des banques. L’effet combiné des taux d’intérêt anémiques et des risques accrus en raison des pertes sur prêts ont pesé lourd sur le secteur bancaire et les valorisations des banques ont plongé à des niveaux extrêmement bas.

Les paramètres fondamentaux sont cependant devenus plus clairs à la mi-avril, car les banques ont commencé à publier leurs bénéfices du premier trimestre lorsque la période de publication des résultats a débuté. Les banques américaines avaient beaucoup de retard à rattraper en raison du rendement décevant qu’elles ont enregistré récemment par rapport au marché boursier en général, mais les premiers résultats publiés nous ont confortés dans notre certitude que les banques continuent d’offrir un potentiel inexploité. Nous estimons que les valorisations intéressantes et la feuille de route du secteur bancaire, qui atteste l’effet composé de la valeur comptable, créent un point d’accès attrayant pour les investisseurs à long terme. Des obstacles à court terme subsistent, mais les premiers résultats publiés donnent à penser que les banques restent en bonne position financière pour résister à la tourmente économique actuelle. Pour ce qui est de l’avenir, nous sommes d’avis qu’un grand nombre de ces banques devraient retrouver assez rapidement leurs niveaux de bénéfices antérieurs à la COVID-19 une fois que la crise sanitaire se sera apaisée et que l’économie retrouvera un semblant de normalité.

Nos perspectives s’appuient sur notre point de vue au sujet des provisions pour pertes sur prêts des banques, c’est-à-dire les réserves que ces institutions constituent pour couvrir les pertes sur prêts futures. Bien que la plupart des prêts continuent d’être productifs, les provisions pour pertes sont devenues cruciales parce que les banques permettent à leurs clients de reporter ou de réduire temporairement leurs remboursements de prêts — ce qu’on appelle l’atermoiement — et modifient par ailleurs les dispositions pour atténuer provisoirement les pressions financières que subissent leurs clients. À la fin d’avril, notre suivi des résultats pour le premier trimestre a montré que les banques avaient substantiellement augmenté leurs dotations, prévoyant qu’une certaine proportion des emprunteurs seraient incapables de faire face à leurs obligations lorsque l’économie redémarrera.

La constitution de réserves par les banques a accéléré par rapport aux périodes antérieures de repli économique en raison du resserrement des normes comptables; les banques sont tenues d’inscrire dans leurs bilans des réserves pour couvrir les pertes de crédit cumulatives prévues pendant tout le cycle des prêts plutôt que de se prémunir seulement contre les pertes des 12 prochains mois. La Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act — la loi adoptée par le gouvernement en réaction à la crise économique à ses débuts, mieux connue sous le nom de CARES Act — permet aux banques de se soustraire aux normes comptables renforcées. Cependant, selon notre analyse des résultats pour le premier trimestre rendus publics jusqu’à la fin d’avril, toutes les grandes banques ont fait état de leur décision de ne pas exercer le droit de revenir aux anciennes normes. Les banques qui ont choisi de se conformer aux normes plus rigoureuses ont vu pâlir leurs résultats à court terme parce qu’elles retranchent ces réserves de leurs bénéfices à court terme pour se doter de réserves plus rapidement qu’elles n’auraient pu le faire en respectant les anciennes normes. 

Selon la trajectoire du redémarrage de l’économie une fois que les restrictions liées au coronavirus auront été levées, nous pensons que les banques devraient continuer d’étoffer leurs réserves au cours des trimestres à venir.

Si cette tendance et la reprise de la croissance économique se matérialisent, nous estimons que la constitution de réserves serait favorable à l’accélération du redressement des bénéfices des banques puisque celles-ci disposeraient des réserves nécessaires pour couvrir la plupart de leurs pertes sur prêts futures prévues. En substance, les banques réalisent les frais de crédit longtemps avant que les pertes potentielles se concrétisent. Pour les banques, la situation actuelle est nettement différente des reprises qui ont suivi des replis économiques dans le passé. Les anciennes normes comptables permettaient aux banques d’échelonner sur des périodes plus étendues l’impact des pertes sur prêts sur leurs bénéfices.

En plus de constituer des réserves, de nombreuses banques enregistrent une croissance substantielle des dépôts et des prêts; les premiers résultats publiés pour le premier trimestre ont révélé que les banques avaient fait état d’une croissance supérieure aux prévisions des prêts consentis, soit en moyenne 7,3 % comparativement au trimestre correspondant de l’année précédente¹. Ces gains ont été largement attribuables au fait que les entreprises emprunteuses ont utilisé leurs facilités de crédit renouvelables pendant l’épisode d’extrême volatilité des marchés en mars. L’octroi du crédit met en lumière le rôle systémique fondamental que les banques sont appelées à jouer dans les périodes de tensions économiques et boursières parce qu’elles aident leurs clients à amortir les chocs et à répondre à leurs besoins de liquidités. Les banques tirent également des avantages de ce rôle puisqu’elles peuvent dégager des bénéfices au titre de l’augmentation des revenus d’intérêts attribuable au recours aux facilités de crédit renouvelables.

En ce qui concerne les revenus, les résultats initiaux publiés par les banques pour le premier trimestre ont été supérieurs aux prévisions, les revenus d’exploitation ayant augmenté de 4,0 % comparativement au trimestre correspondant de l’année précédente¹. Nous attribuons cette situation à plusieurs facteurs. Les mesures que les banques ont prises pour atténuer les chocs systémiques leur permettent d’inscrire des prêts et des dépôts dans leurs bilans. Ce processus, appelé réintermédiation, soutient les revenus nets d’intérêts des banques. Il permet donc de contrebalancer partiellement les facteurs défavorables aux marges nettes d’intérêts des banques — une mesure du rendement des actifs productifs d’intérêts — attribuables aux récentes réductions de taux d’intérêt. 

De plus, le revenu d’intérêts net a été soutenu par les couvertures de taux d’intérêt que de nombreuses banques ont mises en place l’an dernier. Notre analyse montre en outre que les banques ont récemment maintenu un revenu d’intérêts élevé, alimenté principalement par deux sources. En premier lieu, les revenus au titre des prêts hypothécaires ont été robustes au premier trimestre, car des emprunteurs ont refinancé leurs prêts dans le sillage des récentes réductions de taux d’intérêt. Certaines banques ont également noté que l’afflux de nouveaux prêts hypothécaires restait fort — un facteur qui devrait être favorable aux revenus d’intérêts futurs. En outre, certaines grandes banques ont fait état de l’augmentation des revenus tirés des opérations sur titres en raison du volume élevé d’opérations négociées sur les marchés financiers, compte tenu de la flambée de volatilité.

La résilience des revenus et la solidité du capital que mettent en lumière les bilans de nombreuses banques ont permis au secteur bancaire d’accumuler des réserves. Au milieu de ces changements, les banques ont en grande partie préservé leur rentabilité et, à l’occasion de conférences téléphoniques trimestrielles, des dirigeants ont exprimé leur intention de poursuivre le versement de dividendes plutôt que de le réduire ou de le suspendre. Ces facteurs renforcent notre point de vue, à savoir que les banques peuvent continuer de générer de la valeur à long terme malgré les multiples obstacles auxquels elles ont fait face récemment — et auxquels elles continueront de se heurter dans une certaine mesure, vu le climat d’incertitude tenace.

1 « KBW Bank Earnings Wrap-Up 1Q20, v. 2: Bank Results Continue to Reveal Unusual 1Q », Keefe, Bruyette& Woods, 24 avril 2020.