Actions mondiales : la menace de l’endettement et des marge
Encouragées par le faible niveau des taux d’intérêt en vigueur durant les années qui ont suivi la crise, les sociétés ont recouru excessivement au crédit pendant une décennie. Aujourd’hui, le niveau d’endettement des sociétés a atteint un sommet record. Nous avons déjà vu neiger, mais ce qui nous préoccupe cette fois-ci, c’est que les marges d’exploitation n’ont jamais été aussi élevées et qu’elles peuvent être sur le point de culminer ou l’avoir déjà fait.
L’accumulation des dettes et des marges
Stagnation de l’économie, faible croissance des ventes, ralentissement des échanges commerciaux et taux d’intérêt extraordinairement bas : ces facteurs peuvent avoir amené les sociétés à croire qu’une façon simple de stimuler la croissance du bénéfice par action (BPA) consistait à se tourner vers le marché de la dette pour racheter leurs concurrents, racheter des actions ou augmenter les dividendes. De telles mesures, qui riment généralement avec ambition et croissance, sont habituellement bien perçues par les investisseurs.
Pendant un certain temps, les programmes de rachat d’actions et le versement de dividendes généreux ont en effet contribué à la progression du BPA et des cours boursiers, qui ont fréquemment surpassé la croissance du chiffre d’affaires et celle des bénéfices sous-jacents. De même, l’importance qu’accordent les investisseurs aux marges bénéficiaires en tant que mesure du rendement des sociétés a donné aux sociétés une raison de déployer bien des efforts pour stimuler leurs marges. Malheureusement, de telles mesures sont souvent prises au détriment des investissements dans l’avenir.
Comme les taux d’intérêt, qui avaient atteint des niveaux extrêmement bas, se sont améliorés et que la Réserve fédérale américaine a mis fin aux mesures d’assouplissement quantitatif en place depuis une décennie, les conditions de crédit semblent se resserrer. Dans un sens, nous entrons sur un territoire inconnu et compte tenu du nombre de facteurs exogènes pouvant freiner la croissance mondiale, un recul semblable d’une certaine manière à celui que l’on a connu il y a dix ans pourrait se produire.
À notre avis, les sociétés très endettées et peu douées pour la répartition du capital risquent d’avoir du mal à respecter leurs obligations, ce qui, du coup, pourrait entraîner toute une série de résultats désagréables. Il est possible, selon nous, que nous nous trouvions au début d’un cercle vicieux, un scénario dans lequel les titres de créance des sociétés sont déclassés, ce qui entraînera l’augmentation du coût du service de la dette et la diminution des marges bénéficiaires et, ultimement, la réduction des dividendes, le recul de la croissance, la levée de fonds propres ou l’insolvabilité – résultats qui sont tous défavorables pour les cours boursiers. Nous estimons qu’il s’agit de l’un des risques les plus inquiétants du contexte actuel.
L’ampleur des marges
Les marges bénéficiaires progressent lorsque l’écart positif entre les revenus et les charges augmente. Aujourd’hui, les marges au titre du BAIIA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements) sont plus élevées qu’elles ne l’ont été au cours des 20 dernières années1, ce qui s’explique par un certain nombre de facteurs, dont un marché haussier qui perdure depuis 8 ans, l’efficacité sur le plan technologique, la diminution des coûts de fabrication et la mondialisation. Généralement, il est plus difficile pour une société d’améliorer ses marges bénéficiaires quand elles sont déjà élevées, particulièrement dans un contexte marqué par des inquiétudes accrues sur les plans économique, politique et commercial. Nous ne croyons pas que les marges peuvent augmenter encore beaucoup, d’autant plus que bien des sociétés ont négligé d’effectuer les investissements de capitaux nécessaires pour demeurer concurrentielles.
L’ampleur de l’endettement : l’assaut de la brigade des dettes
L’émission de titres de créance de sociétés a explosé depuis dix ans. Les sociétés ont perçu le marché de la dette comme un moyen abordable de financer leurs activités après la crise financière mondiale. À l’échelle mondiale, les titres de créance de sociétés non financières ont atteint le niveau record de 75 000 milliards de dollars américains en juin dernier, une hausse de plus du tiers depuis 20082.
Ce sont les États-Unis qui mènent cet assaut. L’émission d’obligations de sociétés américaines (sociétés financières et non financières, titres de la catégorie investissement et titres à rendement élevé) a totalisé plus de 1 000 milliards de dollars américains depuis 2009 pour atteindre un niveau historique avoisinant les 1 700 milliards de dollars américains en 20173.
Fait inquiétant, une part importante de ces émissions sont notées BBB, soit le niveau de qualité inférieur. Pour mettre les choses en contexte, mentionnons que le nombre de titres de créance notés BBB a quintuplé depuis 2007. Au deuxième semestre de 2018, près de 60 % de tous les titres de créance émis par des sociétés non financières (marchés émergents exclus) étaient notés BBB, alors qu’ils représentaient 49 % en 2011. Même si peu de personnes affirmeraient qu’une implosion est imminente, une tendance au déclassement semble émerger. En octobre dernier, les déclassements d’obligations de première qualité ont dépassé les relèvements des notes de plus de 2:1, ce qui a mis un terme à une quatrième année de suite de déclassement net des titres de créance de première qualité4. Voilà une donnée que les investisseurs ne doivent pas perdre de vue.
L’un des aspects les plus inquiétants, c’est que le ratio dette nette/BAIIA, une mesure de l’endettement d’une société, demeure à un niveau historiquement élevé. Bien que ce ratio ait diminué quelque peu au cours des derniers mois, la capacité des sociétés à rembourser leurs dettes demeure précaire, selon nous. À nos yeux, il s’agit d’une indication que les sociétés s’évertuent à assainir leur bilan avant le prochain ralentissement – un exercice que nous encourageons les sociétés à réaliser.
De leur côté, les investisseurs commencent à demander qu’on passe à l’action.
Fusions financées par l’endettement – Quand les synergies ne se matérialisent pas comme prévu⁵
Étude de case : Anheuser-Busch InBev NV
Premier brasseur au monde, Anheuser-Busch InBev NV a annoncé qu’elle allait réduire de moitié ses dividendes en octobre 20186 – une décision probablement motivée, du moins en partie, par son énorme dette : sa dette nette égalait six fois son BAIIA au 30 juin 2018 – soit un niveau deux fois plus élevé que le niveau auquel les investisseurs commencent habituellement à s’inquiéter. Même si l’entreprise pouvait aisément financer le versement de ses dividendes au moyen de ses bénéfices, elle était incapable d’améliorer sensiblement le niveau de ses dettes, lesquelles provenaient en grande partie de son acquisition de SABMiller en 2016. Compte tenu de son flux de trésorerie d’exploitation net de seulement 6,4 milliards de dollars américains par rapport à des dépenses en capital de 4,4 milliards de dollars américains et à des dividendes de 2,7 milliards de dollars américains7, elle n’avait probablement plus tellement de liquidités pour rembourser ses dettes. L’agence de notation du crédit Moody’s en est venue à la même conclusion et a abaissé la note de l’entreprise en décembre, ce qui a fait craindre que d’autres puissent lui emboîter le pas8. Le déclassement est considéré comme l’élément ayant incité l’entreprise à prendre la décision d’adopter un programme de rééquilibrage qui lui permettra de rembourser ses dettes devenant exigibles au cours des sept prochaines années grâce à une facilité de crédit qui vient à échéance beaucoup plus tard9.
Étude de cas : Newell Brands
Le géant des produits de consommation Newell Rubbermaid a confirmé sa réputation d’acquéreur en série en signant un contrat de plusieurs milliards de dollars visant l’acquisition de Jarden Corporation en 2015, dont une importante portion était financée par endettement. Les investisseurs n’ont pas bien accueilli la nouvelle : le cours de l’action de la société a chuté de près de 20 % lorsque le titre a recommencé à se négocier sous le nom de Newell Brands. Il est juste de dire que les synergies attendues ne se sont toujours pas matérialisées trois ans après la transaction, la marge d’exploitation de l’entreprise ayant baissé considérablement au cours des deux dernières années. Là encore, les investisseurs en ont pris acte et le cours de l’action de l’entreprise a reculé de près des deux tiers entre le milieu de 2017 et la fin de l’année dernière10. Compte tenu d’une dette nette de quelque 8 milliards de dollars américains, le ratio dette nette/BAIIA de la société demeure élevé, tout juste en dessous de six fois11. La société a annoncé un plan de restructuration massive en janvier de l’année dernière12, dont l’objectif est de se départir d’activités accessoires – il ne fait aucun doute que l’entreprise cherche ainsi à gérer sa dette. La capacité de la société à conserver (ou à améliorer) sa note actuelle de BBB, tout juste au-dessus de la note des titres pourris, dépendra dans une large mesure de la manière dont elle mettra en œuvre son plan de restructuration.
Conséquences sur le marché
Le recours excessif au crédit par les sociétés pendant une décennie n’était pas sans leur réserver une mauvaise surprise : des milliers de milliards de dollars de dettes arriveront à échéance au cours des prochaines années et comme les taux augmentent, les frais d’intérêts augmenteront eux aussi. C’est énorme, car si nous supposons que les sociétés choisiront de reconduire leur dette moyennant des rendements plus élevés, cela les empêchera d’affecter des liquidités à des placements plus productifs et, en fin de compte, nuira à la croissance et diminuera les marges13, ce qui aura vraisemblablement des répercussions négatives sur les cours des actions.
Par suite de la croissance des titres de créance notés BBB, particulièrement aux États-Unis, cette catégorie d’actif représente plus de la moitié de l’indice des titres de créance américains de la catégorie investissement. Une telle situation entraîne de nouveaux risques – il n’est pas rare que les emprunteurs notés BBB voient leur note abaissée au niveau des titres pourris lorsque leurs finances se détériorent en raison de la dégradation de la conjoncture économique. Pour une entreprise, un déclassement se traduit par des coûts d’emprunt plus élevés, ce qui complique encore davantage des conditions déjà difficiles. Cela pourrait également conduire à des ventes forcées au sein de stratégies qui ne sont pas autorisées à investir dans ce segment de marché. Cela dit, un problème encore plus grave pourrait pointer à l’horizon : si une importante vague de déclassements devait survenir, elle pourrait ébranler le marché des titres à rendement élevé, ce qui causerait des perturbations sur le marché, par suite de quoi les emprunteurs les plus faibles pourraient perdre l’accès à du capital. Les répercussions se feront probablement aussi sentir sur les marchés boursiers, où le risque sera encore une fois pris en compte.
Conclusion
Les sociétés n’utilisent pas toutes l’endettement d’une manière qui détruit le capital, mais cette question mérite d’être surveillée de près – particulièrement en raison du niveau d’endettement actuel des sociétés et de la probabilité que les marges bénéficiaires ont déjà atteint leur sommet. Lorsque les marges entreprendront leur descente, les cours boursiers en subiront les contrecoups.
Du point de vue des valorisations, les cours des actions mondiales peuvent sembler raisonnables à l’heure actuelle étant donné que le ratio cours/bénéfices de l’indice MSCI Monde avoisine actuellement les moyennes à long terme; cependant, les choses sont fort différentes quand ont les mesure au moyen du ratio VE/BAIIA tenant compte de la dette.
Étant donné notre position dans le cycle économique, nous nous méfions, à titre d’investisseurs, des sociétés très endettées – surtout celles dont la direction s’est montrée peu douée pour la répartition du capital. Il est plutôt sensé d’adopter une approche défensive en matière d’investissement et de se concentrer sur les entreprises viables de grande qualité qui génèrent des liquidités et dont la dette est gérable.
Nous croyons fermement que les sociétés affichant un bilan sain sauront mieux composer avec les bouleversements du marché liés à la dette, surtout dans un contexte où les taux vont probablement continuer de monter même quand les marges commenceront à diminuer.
1 FactSet, au 31 décembre 2018. 2 Global non-financial corporate debt hit record high in second quarter:IIF, 28 novembre 2018. 3 U.S. credit boom: red flag or investable asset? Financial Times, May 8, 2018. 4 BBB debt: Not all created equal, J.P. Morgan, 29 novembre 2018. 5 Les titres particuliers sont mentionnés à titre indicatif seulement. Le présent document ne constitue ni une offre ni une invitation à quiconque de la part de Manulife Asset Management (US), au sujet de l’achat ou de la vente d’un titre. Il ne doit pas être considéré comme une recommandation, actuelle ou passée, ou une sollicitation relative à une offre d’achat ou de vente de tout produit de placement ou à l’adoption d’une stratégie de placement. Les rendements passés ne garantissent pas les résultats futurs. 6 Anheuser-Busch cuts dividend in half, shares crater to 6-year low, CNBC, 25 octobre 2018. 7 FactSet, 30 septembre 2018. 8 Moody’s Downgrades Anheuser-Busch InBev to Baa1: affirms Prime-2; Outlook stable, Moody’s, 10 décembre 2018. 9 Investors support AB InBev’s debt rebalancing, Financial Times, 27 janvier 2019. 10 Bloomberg, 31 janvier 2019. 11 FactSet, au 30 septembre 2018. 12 Newell Rubbermaid, Jarden to Merge in $17B Deal, The Street, 14 décembre 2015. 13 Bits & pieces, CLSA, 7 décembre 2018.
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