Les titres à revenu fixe chinois : des valeurs refuges en période d’incertitude?

De tous les grands marchés obligataires, ceux de la Chine et des États-Unis sont les deux seuls à avoir enregistré des rendements positifs cette année. Au 31 mars, les obligations américaines dans leur ensemble s’inscrivaient en hausse de 2,23 %, et les obligations chinoises avaient gagné 1,14 %¹.

Sur la même période, les obligations d’État chinoises ont dégagé un rendement de 0,93 %, tandis que les obligations de sociétés chinoises ont progressé de 0,22 %². En monnaie locale, les obligations chinoises dans leur ensemble ont gagné 3,02 %, les obligations d’État progressant de 2,81 % et les obligations de sociétés, de 2,08 %. Le renminbi (RMB) a cédé 1,24 % par rapport au dollar américain (USD) pendant cette période. 

La volatilité des obligations chinoises est restée relativement faible, malgré les conditions extrêmes du marché. D’après les rendements quotidiens depuis le début de l’année, l’écart-type annualisé des obligations du pays s’est établi à 5,3 % par an, soit le taux le plus bas de tous les marchés obligataires mondiaux; les corrélations avec les autres grands marchés obligataires ont également été faibles au cours de cette période. Là encore, les rendements quotidiens depuis le début de l’année font ressortir une corrélation de 0,16 entre les obligations chinoises et les obligations américaines, et une corrélation de 0,26 avec les obligations européennes³. Ces niveaux sont comparables aux corrélations à long terme (rendements sur 10 ans).

La Banque populaire de Chine (BPC) a initialement réagi avec retenue aux répercussions économiques de l’épidémie de coronavirus. Elle n’a apporté que des ajustements mineurs à sa politique monétaire et s’est abstenue de prendre des mesures de relance monétaire aussi musclées que ses pendantes mondiales, alors que la Réserve fédérale américaine (Fed) en particulier a réduit les taux à une première reprise de 50 points de base (pb) le 3 mars, puis une deuxième fois, de 100 pb, le 15 mars, en ramenant ainsi la fourchette du taux cible de 0 % à 0,25 %.

Vers la fin du mois de mars, la BPC a réduit le taux de refinancement à sept jours de 2,4 % à 2,2 %, imprimant ainsi au taux qu’elle applique aux prêts la baisse la plus forte depuis 2015 et laissant entrevoir la possibilité de mesures monétaires de plus grande envergure.

Initialement, la Chine a réagi rapidement à la COVID-19 en s’efforçant avant tout d’atténuer les tensions ressenties par les entreprises (notamment les PME) au chapitre des liquidités, et en cherchant à apporter un soutien ciblé aux régions et aux secteurs les plus durement frappés par l’épidémie. La BPC a ainsi injecté environ 1 300 milliards de renminbis de liquidités nettes au moyen d’opérations sur le marché libre au début de février⁴, avant de mettre en place d’autres programmes, dont une réduction de 100 pb du coefficient de réserves obligatoires des banques par actions⁵ et une réduction de 10 pb du taux de la facilité de prêt à moyen terme en février⁶. Le taux préférentiel des prêts du pays a également été abaissé de 10 pb en février, mais n’a pas changé en mars⁷.

Si les autorités chinoises sont intervenues avec plus de modération jusqu’ici, c’est notamment parce que la réaction des marchés intérieurs a été moins vive. Les actions ayant cédé environ 10 % en Chine le mois dernier⁸, contre des pertes de plus de 30 % ailleurs, les marchés financiers chinois n’ont pas été soumis aux mêmes pressions que les autres marchés développés en matière de liquidités. En fait, les écarts de taux des obligations de sociétés de Chine continentale ne se sont pas creusés de manière significative et le marché des nouvelles émissions fonctionne normalement.

Soulignons que les taux des obligations d’État chinoises à 10 ans n’ont chuté que d’environ 55 pb – à 2,59 % – depuis le début de l’année, tandis que ceux des obligations du Trésor américain ont reculé de 107 pb – à 0,84 % au cours de la même période. Les écarts de taux entre les obligations d’État chinoises et américaines à 10 ans se sont ainsi élargis de jusqu’à 1,99 %, le différentiel le plus important jamais enregistré depuis la fin de 2011¹.

Si les mesures prises par le gouvernement chinois visaient initialement en priorité à atténuer les problèmes de liquidités et à faciliter le rebond des activités industrielles, nous pensons que la Chine devra intensifier ses mesures de relance pour stimuler la demande et soutenir la croissance, d’autant que l’économie mondiale semble se diriger vers une profonde récession, l’économie ayant en pratique mis son activité en pause. Selon les analystes du marché, l’économie a connu une forte contraction au premier trimestre de 2020, mais une reprise au deuxième semestre est probable, même si la croissance du PIB réel devrait se situer sous la barre des 10 %. À notre avis, les perspectives de croissance économique de la Chine seront particulièrement complexes, car la demande à l’égard de ses exportations devrait considérablement se contracter au cours des prochains mois et d’autres mesures de relance seront nécessaires pour entretenir la croissance. Par ailleurs, nous pensons que le degré de soutien ne sera a priori pas à la hauteur de ce que nous avons observé en 2008.

Globalement, le gouvernement chinois entend maintenir une approche équilibrée qui soutiendra la croissance tout en garantissant une stabilité financière; de plus, toute nouvelle série de mesures alliera probablement des initiatives monétaires et budgétaires. En fin de compte, la BPC conserve une grande marge de manœuvre pour réduire davantage les taux s’il y a lieu, mais elle doit rester prudente et patiente.

C’est au niveau de la demande externe que l’impact de la pandémie frappera le plus durement l’économie chinoise. Nous nous attendons à ce que les exportations chinoises subissent des pressions à la baisse comparables à celles qui se sont exercées durant la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, et cette dernière renforcera sans doute ses mesures de soutien monétaire et budgétaire pour stimuler la reprise économique. Selon nous, la baisse récente des prix du pétrole sera favorable à la Chine en définitive, car le pays importe environ 70 % de son pétrole; ce recul aura donc un effet bienfaisant sur son compte courant et ses réserves de change. De plus, la baisse des prix de l’énergie devrait atténuer les pressions inflationnistes et permettre au pays de détendre sa politique monétaire.

À notre avis, les sociétés d’État chinoises et les instruments de financement des administrations locales (IFAL) resteront un maillon important du plan de relance budgétaire du gouvernement, même si la marge de manœuvre dans ces secteurs est nettement plus limitée qu’elle ne l’était lors du dernier cycle en 2015, car les administrations locales sont plus lourdement endettées. Nous nous attendons à ce que les nouvelles liquidités soient principalement injectées dans les sociétés d’État et les IFAL de grande qualité, tandis que les sociétés d’État, les IFAL et les sociétés privées de moindre qualité (notés AA ou moins sur le continent) pourraient éprouver davantage de problèmes de liquidités qui feront sans doute grimper les taux de défaillance. 

« Comparativement à ceux des autres grandes puissances économiques, le système financier chinois devrait rester relativement résilient, car il est déjà passé à travers un processus de désendettement en 2017 (jusqu’en 2019). »

Dans le secteur immobilier en Chine, les promoteurs immobiliers ont souffert de perturbations causées par l’épidémie de COVID-19 sur leurs activités, car la réduction des flux de trésorerie procurés par les ventes immobilières augmente les risques de refinancement. Jusqu’à présent, le gouvernement a soutenu le secteur en levant les restrictions visant les ventes locales, tout en assurant d’amples liquidités à l’échelle nationale. Il n’en demeure pas moins que les petits promoteurs disposant de canaux de financement limités et ayant de lourdes dettes arrivant à échéance seront vulnérables si les ventes immobilières restent anémiques – les défauts de paiement ont déjà augmenté parmi les promoteurs privés depuis le début de l’épidémie. En revanche, nous pensons que les grands promoteurs qui sont aussi des émetteurs actifs d’obligations étrangères sont bien placés pour surmonter le repli actuel, car ils disposent généralement de liquidités suffisantes pour honorer leurs obligations sur les 12 prochains mois. Les activités de vente et de construction des promoteurs que nous suivons semblent prêtes à redémarrer; nous ne prévoyons toutefois pas de reprise fulgurante compte tenu de la faiblesse de la demande. Nous pensons par ailleurs que la situation actuelle accélérera les regroupements sur le marché, les grands promoteurs et les sociétés d’État récupérant des parts de marché des promoteurs de moindre taille, qui risquent de souffrir d’une crise des liquidités.

Le ralentissement de l’économie réelle pèsera sans doute sur la qualité des actifs dans le secteur bancaire chinois, tandis que les assureurs et les sociétés de valeurs mobilières pourraient souffrir de la contre-performance des marchés financiers. Les grandes banques chinoises demeurent malgré tout positionnées, à nos yeux, vu la qualité de leurs actifs et du fait que leurs coefficients de capitalisation atteignent des sommets de plusieurs années; elles sont en outre peu exposées aux IFAL et aux secteurs souffrant de surcapacité. Comparativement à ceux des autres grandes puissances économiques, le système financier chinois devrait rester relativement résilient, car il est déjà passé à travers un processus de désendettement en 2017 (jusqu’en 2019). Essentiellement, le marché boursier chinois a mieux résisté à la crise que les marchés mondiaux jusqu’ici, et le gouvernement chinois s’est montré extrêmement capable d’assurer la stabilité financière. 

Bien que le renminbi ait fléchi d’environ 1,24 % par rapport au dollar américain¹, nous nous attendons maintenant à ce qu’il se maintienne dans une fourchette stable au cours des prochains mois. La réduction des taux d’intérêt à 0 % orchestrée par la Fed devrait couper son élan au dollar américain. De plus, comme la Chine applique des mesures de relance monétaire avec plus de modération, le renminbi conservera probablement un avantage sur les autres monnaies sur le plan des écarts de taux d’intérêt, ce qui le soutiendra malgré les perspectives nettement moins séduisantes de l’économie chinoise. 

La crise de la COVID-19 a encore une fois illustré la faible corrélation entre les obligations chinoises et les autres actifs à revenu fixe; elle fait aussi des obligations d’État chinoises des actifs offrant une protection relative durant cette période sans précédent. À nos yeux, le marché des obligations d’État chinoises demeure l’un des plus attrayants du point de vue du rendement absolu et il conservera probablement cet atout par rapport aux autres marchés obligataires développés. Parallèlement à cela, le gouvernement chinois semble déterminé à faire preuve de modération dans ses mesures de relance monétaire. À long terme, nous nous attendons à ce que la demande à l’égard des obligations chinoises continue d’augmenter, car la question de leur intégration aux indices joue en leur faveur et attire des capitaux importants, les placements des investisseurs étrangers dans cette catégorie d’actif demeurant limités.

1 Bloomberg, au 26 mars 2020. Selon les rendements del’indiceobligataire Bloomberg Barclays U.S. Aggregate et de l’indice obligataire Bloomberg Barclays China Aggregate, du 1^er janvier 2020 au 25 mars 2020, en dollars US, non couverts. 2 Bloomberg, au 26 mars 2020. Selon les rendements de l’indice Bloomberg Barclays China Government et de l’indice Bloomberg Barclays China Corporate Bond, du 1^er janvier 2020 au 25 mars 2020, en dollars américains, non couverts. 3 Bloomberg, au 26 mars 2020. 4 « China to inject US$174 billion of liquidity into markets amid new coronavirus outbreak », SCMP, 2 février 2020. 5 « China cuts medium-term rate to soften coronavirus hit to economy », Reuters, 16 février 2020. 6 « China pumps $79 billion into economy with bank cash reserve cut », Reuters, 13 mars 2020. 7 « China keep benchmark loan rate unchanged despite coronavirus », SCMP, 20 mars 2020. 8 Bloomberg, au 26 mars 2020. Selon les rendements de l’indice composé de la Bourse de Shanghai.