Le yuan franchit la barre psychologique de 7 pour 1 : conséquences pour l’économie et le marché du crédit de la Chine

Le 5 août, mis à mal par la reprise des tensions commerciales sino-américaines, le yuan s’est considérablement déprécié par rapport au dollar américain, franchissant la barrière psychologique de « sept yuans pour un dollar »¹. Trois jours plus tard, la Banque populaire de Chine a, pour la première fois depuis 2008, fixé la valeur médiane² du yuan au-dessus de la barre de sept pour un

Pour comprendre la faiblesse soudaine du yuan, nous devons examiner le contexte macroéconomique qui sous-tend la détérioration marquée des relations commerciales sino-américaines et la rhétorique de plus en plus conciliante des grandes banques centrales mondiales. Le 1^er août, l’administration américaine a annoncé l’imposition de nouveaux tarifs sur 300 milliards de dollars américains d’importations chinoises, qui entreront en vigueur le 1^er septembre³. L’annonce inattendue a été faite après que les deux pays s’étaient entendus au sommet du G20, en juin, pour reprendre les négociations commerciales. Le 5 août, le Trésor américain a officiellement accusé la Chine de manipuler sa monnaie, exacerbant les tensions bilatérales. Parallèlement, les grandes banques mondiales ont emboîté le pas à la Réserve fédérale américaine (Fed) et adopté un ton conciliant, réduisant les prévisions de croissance et s’engageant à abaisser les taux d’intérêt.

Nous considérons la dépréciation du yuan comme une mesure stratégique ponctuelle du gouvernement chinois visant à atténuer l’incidence de l’augmentation des risques économiques mondiaux. Cette stratégie diffère de la dernière dévaluation marquée survenue en août 2015, lors de la mise en place de réformes exhaustives de la valeur et des flux du yuan de façon à ce que ce dernier soit inclus dans le panier des droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international.

Dans l’ensemble, la dépréciation du yuan par rapport au dollar américain ne devrait pas être considérée comme une exception, car d’autres grandes monnaies mondiales et régionales ont récemment fléchi par rapport au billet vert en raison de la politique conciliante des banques centrales et de l’augmentation des risques géopolitiques. Par le passé, la Banque populaire de Chine a soutenu le yuan, fixant la monnaie à un niveau plus élevé après des replis marqués des marchés, et dépensant environ 1 000 milliards de dollars américains de ses réserves de change au cours des 5 dernières années⁴.

Après le récent recul du yuan, nous ne nous attendons pas à de nouvelles dépréciations marquées de la monnaie pour deux raisons :

1. La perspective d’une dépréciation plus marquée pourrait accroître les craintes à l’égard de la sortie de capitaux.
2. L’écart entre le taux d’intérêt du yuan et celui du dollar américain se creuse, car l’on s’attend à d’autres réductions de la Fed, tandis que la Banque populaire de Chine reste neutre.

Sur le plan économique, nous ne pensons pas qu’un yuan plus faible se traduira par un gain important de la croissance. Le compte courant de la Chine affiche un excédent d’environ 0,4 % du PIB⁵, ce qui suggère que le commerce n’est pas l’un des principaux moteurs de croissance à l’heure actuelle. Par extension, une augmentation des exportations ne devrait avoir qu’une incidence infime. Cependant, la dépréciation de la monnaie pourrait avoir d’importantes répercussions sur la distribution. Un yuan plus faible aide à stimuler les marges dans le secteur en difficulté des exportations, à un moment où les coûts augmentent. Inversement, il nuit aux secteurs florissants des importations et de la consommation, qui ont soutenu la récente croissance économique. Par conséquent, un yuan affaibli pourrait éperonner la stabilité sociale, mais perturber un segment plus robuste de l’économie chinoise.

Nous pensons que l’incidence de la faiblesse du yuan sur les obligations d’État sera assez limitée : Les obligations étrangères, comparativement au total des obligations d’État chinois, sont relativement peu élevées⁶. Cependant, l’effet sur le marché des obligations de société pourrait être plus important, surtout pour les secteurs ou les sociétés qui affichent un fort écart dans l’appariement de devises, un risque de change non couvert élevé et des marges bénéficiaires faibles. Cela est particulièrement vrai si la monnaie reste à un niveau inférieur pendant une période prolongée. Entre autres :

• Les secteurs qui sont fortement exposés aux obligations non libellées en yuan, comme les promoteurs immobiliers et les transporteurs aériens. Certaines sociétés de ces secteurs ont plus de 30 % de leur dette totale libellée en monnaie étrangère⁷. Toute nouvelle dépréciation de la valeur du yuan minera la capacité des sociétés à rembourser leurs dettes et creusera l’endettement des entreprises touchées.
• Les sociétés dont le revenu est en yuan, mais dont le coût de base est libellé en dollars américains et dont les marges sont faibles – par exemple, les sociétés pétrochimiques et les papetières en aval – pourraient être particulièrement vulnérables. Les secteurs liés à la consommation qui dépendent des importations – comme les distributeurs de produits de luxe et de marques étrangères – pourraient également constater une diminution de leurs marges bénéficiaires ou de la demande. Dans une moindre mesure, les secteurs des voyages et des jeux de Macao pourraient également être touchés du fait de la hausse des coûts imposés aux voyageurs internationaux chinois.

Dans le contexte d’intensification de la guerre commerciale sino-américaine et de la possibilité d’un nouveau fléchissement du yuan, nous nous attendons également à ce que les émetteurs de titres de créance soient plus prudents à l’égard de leur exposition aux dettes étrangères; une situation qui pourrait freiner l’envie d’émettre des titres de créance sur le marché obligataire étranger.

Malgré un contexte macroéconomique hautement incertain, nous restons optimistes à l’égard des données fondamentales sur le crédit des sociétés chinoises qui nous intéressent et qui sont essentiellement intactes en raison de l’importante liquidité du marché. Par ailleurs, nous croyons que les sociétés plus solides sont bien placées pour résister à toute nouvelle baisse du yuan, compte tenu de leur capacité à accéder à du financement au pays et du fait qu’elles ont un profil d’échéance d’obligations libellées en dollars américains gérable.

1 Bloomberg, 5 août 2019. 2 Le yuan se négocie dans une fourchette quotidienne étroite, définie par un taux de change médian établi par la Banque populaire de Chine tous les matins. 3 L’imposition de tarifs sur certaines importations chinoises aux États-Unis (principalement des biens de consommation) a été reportée au moins jusqu’à la mi-décembre. 4 Gestion de placements Manuvie, 13 août 2019. L’hypothèse est fondée sur la baisse des réserves de change de 2014 à 2018. 5 Administration nationale des changes de la Chine, décembre 2018. 6 Moody’s Financial Services, 13 août 2019. 7 Information fournie par les services financiers des sociétés, décembre 2018.