Conséquence virale sur les chaînes d’approvisionnement mondiales

La phase I des répercussions de l’épidémie causée par le coronavirus sur la croissance économique – pour emprunter une expression employée dans le cadre des négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine – est la baisse de la demande. La phase II, qui, selon nous, a plus de chances de se concrétiser que la phase II de l’accord commercial entre les États-Unis et la Chine, est une importante perturbation de l’offre.

Nous sommes d’avis que les répercussions négatives sur la croissance entraînées par l’épidémie actuelle seront probablement plus sérieuses que celles de l’épidémie causée par le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003. Cela s’explique en partie par le fait que la chaîne d’approvisionnement mondiale est aujourd’hui beaucoup plus interconnectée et fonctionne en flux tendu, ce qui fait que les perturbations de la production s’étendent au-delà de la Chine, surtout dans la région asiatique, qui dépend fortement des produits intermédiaires chinois. Selon nos estimations, les secteurs de l’automobile et de l’électronique sont les plus vulnérables, tout comme, dans une moindre mesure, le secteur des machines électriques. Même si la production chinoise redémarre pour de bon, la faible utilisation de la capacité due à la pénurie de main-d’œuvre, l’annulation des vols commerciaux, la prolongation des contrôles aux frontières et la mise en quarantaine entraîneront de longs retards dans l’acheminement des pièces.

Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi comparer la situation actuelle à celle causée par le SRAS pourrait mener à la sous-estimation de l’incidence potentielle de l’épidémie actuelle. La plupart des usines et des bureaux chinois contribuant aux chaînes d’approvisionnement mondiales sont restés ouverts en 2002 et 2003, à l’exception des installations de Guangdong, où le SRAS était relativement confiné. Par conséquent, l’incidence sur la production industrielle et les exportations chinoises a été minime. En raison de l’épidémie causée par le coronavirus, de nombreuses usines fonctionnent en deçà de leur capacité, et certaines demeurent fermées¹.

La spécialisation verticale en matière de commerce – l’utilisation des importations pour produire des exportations – était également beaucoup plus limitée en 2003. La valeur ajoutée brute produite à l’échelle mondiale par la Chine (la production d’un pays moins sa consommation intermédiaire) était inférieure à 4 %. Les données sur la valeur ajoutée brute n’ont commencé à être compilées qu’en 2005, ce qui témoigne du besoin limité de comprendre les chaînes de valeur mondiales jusqu’alors².

En 17 ans, d’importants changements structurels ont eu lieu. L’émergence des chaînes d’approvisionnement mondiales a donné lieu à des relations commerciales beaucoup plus complexes. Une part croissante des exportations vers la Chine est constituée de produits intermédiaires assemblés avant d’être utilisés en Chine ou exportés ailleurs dans le monde. Parallèlement, une part croissante des exportations chinoises est constituée de produits assemblés dans d’autres pays. Certaines chaînes d’approvisionnement existent à l’intérieur d’autres chaînes d’approvisionnement et la Chine détient actuellement une plus grande part de ces dernières qu’en 2003. En 2015, la part de la valeur ajoutée mondiale attribuable à la Chine avait plus que triplé et atteint environ 15 %.

Si la baisse de la capacité de production des usines chinoises durait un certain temps, de nombreux pays pourraient avoir de la difficulté à trouver les produits dont ils ont besoin pour satisfaire leur demande de consommation finale. Le Vietnam et le Cambodge sont les pays les plus vulnérables à cet égard, puisque 9 % à 11 % de leur demande finale dépend de la valeur ajoutée par les entreprises chinoises. Hong Kong et la Thaïlande suivent avec 7 % à 8 %; viennent ensuite la Malaisie, le Chili et Taïwan avec 5 % à 6 % ³.

Qui plus est, les échanges commerciaux avec la Chine représentent une part importante du PIB de nombreuses économies. Par exemple, ils représentent plus de 20 % du PIB de Taïwan, du Vietnam et de la Malaisieet de 14 % à 17 % du PIB de la Corée du Sud, de la Thaïlande, de Singapour et de Hong Kong⁴. Cela suggère que de nombreuses économies asiatiques souffriraient des perturbations de la chaîne d’approvisionnement.

Les secteurs sont également concernés à des degrés très divers. Taïwan est très vulnérable aux perturbations de l’approvisionnement en ordinateurs et en appareils électroniques chinois (15,4 % du PIB). La Malaisie (8,9 %), la Corée du Sud (7,5 %) et les Philippines (4,2 %) sont également vulnérables, principalement dans ce secteur, mais à des degrés divers. Hong Kong risque d’être touché par des perturbations de l’approvisionnement principalement dans le secteur des services aux entreprises (8,1 %), tandis que le Chili, l’Australie et la Nouvelle-Zélande risquent d’être affectés dans d’autres secteurs, comme les produits de base primaires, à hauteur de 4,0 % à 7,0 % de leur PIB⁵.

Parmi les économies développées, le fait que Hong Kong, l’Australie et la Nouvelle-Zélande soient les pays les plus vulnérables à ces perturbations n’est pas surprenant étant donné leur intégration économique connue avec la Chine. L’intégration du Japon et de la Chine est peut-être moins connue. Représentant 3,9 % du PIB, le commerce des produits intermédiaires entre le Japon et la Chine est le plus important des principaux pays développés. Les exportations de produits intermédiaires vers la Chine représentent 3,5 % du PIB japonais, et les importations de produits intermédiaires en provenance de la Chine représentent 0,4 % du PIB⁶.

Les stocks des secteurs les plus exposés (automobiles, appareils électroniques et machinerie) sont gérés selon le principe des flux tendus. Cela signifie que la marge de manœuvre est faible en cas de suspension ou de longs retards dans la réception des pièces et des composants en provenance de Chine, et que l’incidence sur les usines partenaires dans la chaîne d’approvisionnement sera relativement immédiate.

Hyundai et Renault ont déjà annoncé la fermeture d’usines à l’extérieur de la Chine (en Corée du Sud) en raison de la pénurie de pièces envoyées de Chine. De son côté, Fiat Chrysler a prévenu qu’elle pourrait devoir interrompre la production dans l’une de ses usines européennes⁷. En ce qui concerne les exportateurs sud-coréens et taïwanais de semi-conducteurs, une augmentation des expéditions avait déjà entraîné une baisse des stocks avant l’épidémie, ce qui les rend plus vulnérables. Récemment, certaines sociétés ont stocké massivement des pièces, mais cela ne fera qu’exacerber la pénurie d’intrants⁸.

Les chaînes d’approvisionnement avaient depuis un certain temps amorcé des ajustements en réaction aux tensions entre les États-Unis et la Chine. Le chaos des chaînes d’approvisionnement provoqué par l’épidémie accélérera probablement la tendance des sociétés à tenter de diversifier leurs fournisseurs afin de limiter le risque de concentration. Par exemple, Taïwan et certains exportateurs de l’ANASE sont bien placés pour s’adapter à l’évolution de la demande aux États-Unis depuis le début de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine et ont enregistré une forte hausse de leurs exportations. Bien que cela puisse contribuer à réduire les perturbations de la chaîne d’approvisionnement causées par le coronavirus et soutenir certains marchés, nous pensons que pour le moment, les risques pèsent plus lourd que les avantages.

1 « Coronavirus: Much of ‘the World’s factory’ still shut », BBC News, 10 février 2020. 2 OCDE et Gestion de placements Manuvie, au 13 février 2020. 3 OCDE, Macrobond et Gestion de placements Manuvie, au 12 février 2020. 4 Ibid. 5 Ibid. 6 Ibid. 7 « Virus Exposes Cracks in Carmakers’ Chinese Supply Chains », New York Times, 4 février 2020, « Fiat Chrysler warns Coronavirus may force European plant to close », Financial Times, 6 février 2020. 8 « Coronavirus and Your Global Supply Chain, Rising Panic – Part 2 », Logistics Management, 11 février 2020.