Évaluation de la réponse de l’Europe à la crise de la COVID-19

Points à retenir

• Les principaux acteurs de l’UE ont réussi à surmonter les réticences internes et à prendre des mesures significatives qui ont apaisé les marchés des capitaux et la crainte que la crise de la COVID-19 intensifie la discorde entre les États membres.
• Le débat sur la légalité des politiques monétaire et budgétaire mises en place pour relancer l’économie de la zone euro demeure d’actualité, soulignant le risque de futurs conflits.
• Les perspectives de l’économie des pays de la zone euro restent sombres et la déflation demeure un risque majeur.
• Les solutions à court terme ont certes temporairement amélioré la cohésion au sein de l’UE, mais des problèmes fondamentaux demeurent.

Christopher Bullock a été le premier auteur connu du fameux aphorisme : « Il est impossible d’être certain de tout, sauf de la mort et des impôts », en 1716, bien qu’il ait été suivi par le plus poétique Danial Defoe, qui, dans son ouvrage prophétique intitulé The Political History of the Devil, a noté ce qui suit : « il est possible de croire plus fermement des choses aussi sûres que le décès et les impôts », avant que cela soit attribué à Benjamin Franklin, qui a dit : « Notre nouvelle Constitution est maintenant établie et a une apparence qui promet la permanence; mais dans ce monde, rien n’est certain, à part la mort et les impôts¹. »

À ce fameux distique, nous pouvons ajouter une troisième certitude : les crises de la zone euro. Elles sont devenues aussi régulières que le mouvement d’une horloge et les politiciens de la zone euro sont passés maîtres dans l’art économique de la satisfaisance – une combinaison de satisfaction et de suffisance d’abord rendue célèbre par le lauréat du prix Nobel Herbert Simon – qui, dans ce contexte, consiste à faire le minimum nécessaire pour maintenir l’unité, sans jamais atteindre le maximum nécessaire pour éviter la prochaine crise. En effet, à chaque itération de la crise européenne, le risque d’éclatement de l’UE reste très faible; cependant, au fil du temps, la probabilité cumulée de défaillance augmente inévitablement en raison de la réapparition des contradictions du dysfonctionnement de la monnaie unique.

Cependant, peu de participants au marché croient que l’éclatement de l’Union européenne (UE) surviendra de leur vivant, en raison de l’expérience des deux dernières décennies. Selon nous, le risque d’un éclatement est supérieur à la probabilité attribuée par le consensus, toutefois, il demeure très faible.

En effet, la Banque centrale européenne (BCE) et les politiciens européens semblent avoir connu une bonne crise – ils semblent avoir tiré des leçons de la grande crise financière et ont agi rapidement pour s’entendre sur le minimum. La banque centrale a adapté son mandat afin de comprimer les écarts de taux des obligations des États de la périphérie à ce qui est essentiel au mécanisme de transmission monétaire². Les marchés des capitaux savent désormais qu’ils ne doivent pas « lutter contre la banque centrale », et ses divers programmes visant à favoriser la liquidité atteindront probablement l’objectif de ramener les écarts sous les niveaux d’avant le début de la pandémie. 

La BCE reste le principal acteur à promouvoir une politique visant à faire « tout ce qu’il faut ». La banque centrale a bonifié son programme d’achat d’urgence en cas de pandémie de 600 milliards d’euros pour le porter à 1 350 milliards d’euros et a prolongé ses activités de six mois, jusqu’en juin 2021, faisant passer ses achats d’actifs potentiels en 2020 et 2021 à 1 950 milliards d’euros³. Ce montant vertigineux comprend également 480 milliards d’euros provenant de son programme habituel d’achat de titres du secteur public, au rythme de 20 milliards d’euros par mois, plus un « coup de pouce » de 120 milliards d’euros à utiliser en 2020².

Plus des trois quarts de ces achats seront affectés à l’achat d’obligations d’État, ce qui couvrira amplement les besoins de financement actuels des gouvernements de la zone euro. Nous croyons que la révision à la baisse des prévisions concernant le PIB et l’inflation peuvent – et seront – utilisées pour justifier la prolongation des divers programmes d’achat d’actifs cet automne et au printemps prochain, lorsque les gouvernements européens devraient tenter d’obtenir des mesures supplémentaires pour accélérer la reprise de leur économie après cette terrible pandémie. 

Selon nous, trois raisons justifient ces mesures d’assouplissement monétaire musclées – la première étant la lutte contre le risque de déflation. La BCE a revu à la baisse ses prévisions de croissance et s’attend maintenant à ce que le PIB réel de la zone euro se contracte de 8,7 % en 2020 avant d’afficher une croissance de 5,2 % en 2021 et de 3,3 % en 2022⁴. Ces prévisions prennent pour hypothèse qu’il n’y aura qu’une seule vague de COVID-19 et elles sont, par conséquent, sujettes à un risque de révision à la baisse en cas de deuxième, voire de troisième vague. De même, les prévisions d’inflation ont été abaissées à 0,3 % pour 2020 et présumaient une reprise graduelle à 0,8 % en 2021 et à 1,3 % en 2022. La banque centrale s’attend à ce que l’inflation de base reste inférieure à 1,0 % en 2022 – un signe de son inquiétude à l’égard de la déflation⁴. Pour mettre les choses en contexte, cela représente moins de la moitié de la cible d’inflation symétrique de 2,0 % que la BCE devrait adopter à la fin de l’année.

Cela nous amène à la deuxième raison qui consiste à s’assurer que l’augmentation massive des émissions d’obligations d’État n’entraîne pas une hausse des taux d’intérêt, ce qui découragerait les investissements du secteur privé. Cela signifie que la banque centrale doit fournir des prévisions indiquant que les taux resteront faibles, ce à quoi s’ajoutent les achats d’actifs de la banque centrale, permettant ainsi un contrôle efficace de la courbe des taux. 

La troisième raison est plus controversée, et la banque centrale a fait de la compression des écarts de taux des obligations des pays périphériques⁵ une composante importante du mécanisme de transmission monétaire. En effet, pour justifier l’expansion du programme d’achat d’urgence en cas de pandémie, la banque centrale a indiqué que les conditions monétaires ne s’étaient pas suffisamment assouplies, en grande partie parce que ces écarts restaient plus larges qu’au début de la pandémie. Le  programme d’achat d’urgence en cas de pandémie est censé être temporaire, mais en politique, il n’y a rien de plus permanent qu’un « programme temporaire », et compte tenu de la probabilité des crises au sein de l’UE, nous nous demandons s’il sera un jour possible à la banque centrale de faire marche arrière. Néanmoins, la nature apparemment temporaire du programme a permis à la BCE de s’écarter de la clé de répartition de son capital et des limites visant les émetteurs. Jusqu’à présent, ces écarts ont été modestes, mais nous nous attendons à ce que la banque centrale s’écarte de plus en plus de ces limites. 

« La BCE reste le principal acteur à promouvoir une politique visant à faire "tout ce qu’il faut". »

En plus de ses divers programmes d’achat d’actifs, la BCE soutient également l’économie en procurant des liquidités considérables au système bancaire européen. Son programme récent d’opérations ciblées de refinancement à plus long terme (TLTRO III) d’urgence face à la pandémie, qui permet aux banques d’emprunter auprès de la banque centrale à un taux d’intérêt pouvant aller jusqu’à -1 %, a procuré 1 300 milliards d’euros de liquidités supplémentaires aux banques, supposément pour prêter au secteur privé. Cependant, dans les faits, une partie importante de ces capitaux seront probablement investis dans le marché des obligations d’État, car les banques utilisent ces fonds pour acheter des obligations d’État européennes, renforçant ainsi la symbiose entre les gouvernements et les banques.

Selon nous, l’approche de la BCE en matière de financement durant la pandémie présente deux problèmes à long terme. Premièrement, l’assouplissement des exigences relatives à la clé de répartition de son capital et des limites visant les émetteurs sera contesté devant la Cour constitutionnelle allemande⁶. Le respect de ces conditions a permis au tribunal d’accepter que le programme d’assouplissement quantitatif de la banque centrale, mis en place de 2015 à 2018, et à nouveau fin 2019 – ne contrevenait pas à l’interdiction légale visant le financement monétaire. Cependant, le tribunal a tout de même conclut que la BCE avait agi ultra vires – en outrepassant son autorité juridique – parce que ses décisions n’avaient pas été « proportionnelles », et a indiqué qu’il exigeait une explication dans un délai de trois mois ou qu’il interdirait à la Banque fédérale d’Allemagne de participer aux programmes d’assouplissement quantitatif de la BCE. Nous ne pensons pas que cela se produira, mais la réponse initiale de la BCE, qui a insisté sur son indépendance et a laissé entendre qu’elle ne répond qu’à la Cour de justice européenne, met en évidence le risque de conflits futurs⁷.

La banque centrale n’est pas la seule institution de l’UE accusée d’avoir outrepassé ses pouvoirs. Le fonds de relance post-pandémie de 750 milliards d’euros de la Commission européenne, composé de 390 milliards d’euros de subventions et de 360 milliards d’euros de prêts, a finalement été approuvé par les dirigeants des 27 pays membres de l’UE, le 21 juillet, après quatre jours de négociations intenses⁸. Bien que la proposition doive encore être ratifiée par le Parlement européen, il est important de noter que quelques précédents ont été établis.

Le projet de l’UE d’emprunter aux termes de ses propres facilités de crédit en est une, tout comme celui de fournir aux États membres des subventions plutôt que des prêts. En particulier, jusqu’à tout récemment, il était entendu que l’article 310 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdisait à l’UE d’emprunter. Cependant, la Commission européenne a contourné cette disposition embêtante en invoquant l’article 311, qui stipule que « l’Union se dotera des moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs et mener à bien ses politiques ». Il est difficile de ne pas voir cela comme la version de la Commission du fameux discours de Mario Draghi dans lequel il affirme que la BCE fera « tout ce qu’il faut ». Nous nous attendons à ce que ce fonds soit adopté avec juste quelques changements mineurs – les nations frugales ne pourraient pas en faire moins dans un contexte de pandémie.

Cela dit, nous pensons que le fonds est trop petit et qu’il faudra l’augmenter l’an prochain. Lorsque la situation reviendra à la normale, il deviendra probablement évident que dans ce contexte d’agitation et de réunions d’urgence de l’UE, que rien n’a été fait pour résoudre l’augmentation de l’endettement des membres de l’UE. Selon nous, il sera presque impossible de réimposer l’austérité après la pandémie, et d’autres crises sont inévitables, même si les problèmes à court terme ont été réduits par l’assouplissement des traités.

Selon nous, de nouveaux traités sont nécessaires.

1 « Daniel Defoe – The history of the Devil: ancient and modern in two parts with a description of the Devil’s dwelling », rcseng.ac.uk, 23 août 2019. 2 Selon la Banque centrale européenne, il s’agit du « processus par lequel les décisions de politique monétaire affectent l’économie en général et les prix en particulier ». 3 Bloomberg, 22 juin 2020. 4 « Projections macroéconomiques pour la zone euro établies par les services de l’Eurosystème, juin 2020 », ecb.europa.eu, 4 juin 2020. 5 Les écarts de taux des obligations des États périphériques font référence à l’écart de taux entre l’obligation allemande à 10 ans et le taux de l’obligation à 10 ans de pays européens comme l’Espagne, la Grèce, le Portugal, l’Irlande et l’Italie, pays dont les taux ont fortement augmenté pendant la crise européenne il y a 10 ans. 6 « ECB Targeted by German Far-Right Party Over Coronavirus Response », bnnbloomberg.ca, 18 juin 2020. 7 « ECB takes note of German Federal Constitutional Court ruling and remains fully committed to its mandate », ecb.europa.eu, 5 mai 2020. 8 « EU recovery fund : how the plan will work », Financial Times, 21 juillet 2020.