Des réductions de taux d’intérêt décrétées d’urgence

L’annonce de la Réserve fédérale américaine (la Fed) est tombée environ deux heures après que les ministres des Finances et les banques centrales du G7 eurent publié une déclaration conjointe dans laquelle ils s’engageaient à prendre des mesures supplémentaires pour soutenir l’économie et la stabilité des prix. Nous nous attendons maintenant à ce que toutes les grandes banques centrales, y compris la Banque du Canada et la Banque centrale européenne, abaissent leurs taux avant ou à la prochaine réunion d’établissement des taux. De plus, nous pensons que la Fed procédera à une réduction supplémentaire de 25 points de base (pb) des taux d’intérêt lors de sa prochaine réunion le 18 mars.

Quelle incidence la réduction de taux de 50 pb de la Fed a-t-elle en pleine crise sanitaire? Il est vrai que la réduction des taux d’intérêt ne corrigera pas la perturbation de la chaîne d’approvisionnement mondiale, ne stimulera pas les dépenses de consommation ou ne contribuera pas à contenir la propagation du coronavirus (COVID-19). Cependant, en théorie, elle devrait contribuer à réduire le resserrement des conditions financières et servir de protection contre la récente baisse des actifs risqués. Essentiellement, la réduction des taux d’intérêt pourrait freiner la vigueur du dollar américain, ce qui pourrait nuire à la croissance des États-Unis, réduire le coût des titres de créance de sociétés et soutenir les activités de refinancement des ménages américains.

Dans ce cas, pourquoi les actifs risqués se sont-ils repliés? Selon nous, deux raisons pourraient l’expliquer :

1. La réduction des taux d’intérêt de la Fed ne semble pas être coordonnée avec les autres grandes banques centrales.
2. On pourrait considérer que la banque centrale américaine panique (quelque peu) au sujet de la croissance.

De notre point de vue, nous pouvons certainement discerner divers facteurs pouvant entraîner une nouvelle baisse des prix des actifs au cours du ou des deux prochains mois et qui pourraient peser sur le risque, en l’absence d’une amélioration soudaine des cas de COVID-19.

Au moment de la rédaction du présent document, le marché obligataire tient compte de plus d’une réduction de taux lors de la réunion de mars², et d’au moins une autre réduction de taux par la suite. Il sera selon nous incroyablement difficile pour la Fed de répondre à ces attentes. Essentiellement, les marchés s’attendent à ce que la Fed continue de baisser les taux d’intérêt, laisse croire qu’il y aura d’autres réductions et confirme qu’elle n’a pas l’intention de les annuler, même si les conditions économiques s’amélioraient. Il est juste de dire qu’il s’agit d’une demande extrêmement élevée; la voie à suivre pour la Fed sera probablement difficile, et il y aura place à de nombreuses erreurs de politique et de nombreux problèmes de communication.

Selon nous, la réduction des taux d’intérêt n’est tout simplement pas la solution pour remédier aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement, c’est aussi simple que cela. Il est presque certain que la paralysie économique de la Chine au cours des deux derniers mois – et possiblement au-delà – continuera de peser sur le commerce mondial, le secteur manufacturier et les investissements des entreprises. Cela est particulièrement problématique étant donné que l’économie mondiale n’est pas confrontée au ralentissement prévu par suite d’une période de vigueur, puisqu’elle a été affaiblie par l’intensification des tensions commerciales au cours des 18 mois précédents. Bien que nous nous attendions à une amélioration d’ici le quatrième trimestre de cette année, nous pensons que la croissance mondiale continuera de se détériorer pendant plusieurs mois – avec ou sans réductions de taux coordonnées à l’échelle mondiale. Et cela signifie une baisse des bénéfices des sociétés, à l’échelle mondiale.

Nous constatons des signes préliminaires de perturbations de la demande aux États-Unis, bien qu’elles demeurent moins graves que les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement à l’heure actuelle. Au cours des prochaines semaines, nous croyons que plusieurs indicateurs économiques du secteur des services (y compris les ventes au détail) pourraient ne pas répondre aux attentes, et nous demeurons préoccupés par le marché de l’emploi.

Bien qu’il soit vrai que les fondamentaux des consommateurs américains demeurent très solides, grâce au taux d’emploi élevé, à la hausse des salaires, au taux d’épargne élevé et au taux d’endettement relativement faible, un événement ébranlant la confiance pourrait empêcher un consommateur « sain » de dépenser – et c’est exactement ce que le COVID-19 est susceptible de faire.

Par ailleurs, nous croyons qu’il est important de surveiller les signes de faiblesse des marchés des titres de créance. Le double coup dur d’un choc du côté de l’offre et d’un choc du côté de la demande risque de nuire aux revenus des sociétés, ce qui peut entraîner une hausse du taux de défaillance. Bien que la Chine puisse demander aux banques de renouveler les prêts et de reporter les échéances de remboursement pour réduire la pression sur les sociétés chinoises, le reste du monde n’est pas en mesure de réagir de la même façon (du moins, pas sans avoir recours à des mesures extraordinaires). La réduction des taux d’intérêt peut contribuer à réduire la pression sur les titres de créance, mais elle n’élimine pas entièrement le risque.

Bien que dernièrement, les manchettes aient surtout porté sur l’éclosion du coronavirus et les réductions de taux prévues par la Fed, les marchés des capitaux seront également aux prises avec les nouvelles concernant les élections présidentielles américaines de 2020. Selon nous, les élections continueront de jouer un rôle dans l’orientation des marchés. Il est peu probable qu’ils accueillent favorablement tout signe d’un changement dans le bureau ovale en novembre.

Bien qu’il soit vrai que la prudence est de mise à court terme, nous restons convaincus que les perspectives à moyen terme seront beaucoup plus prometteuses. Il nous faudra peut-être un peu plus de temps que prévu pour y arriver, et cela dépendra en grande partie de la rapidité avec laquelle l’éclosion de coronavirus sera maîtrisée, mais pour y arriver, nous y arriverons – avec un peu d’aide sur divers fronts.

Selon nous, il est clair pour tout le monde, y compris les banques centrales, que la politique monétaire n’est pas l’outil le plus approprié pour faire face à la crise actuelle. Les dépenses budgétaires sont de toute évidence l’outil le plus efficace, car elles permettent aux décideurs de cibler directement les régions ou les secteurs d’activité les plus faibles et d’atténuer les chocs de confiance.

Nous avons été témoins de certains changements à cet égard – l’Italie a mené la charge jusqu’ici⁴, et nous pensons que les décideurs des États-Unis et du Royaume-Uni pourraient emboîter le pas. Mardi, les ministres des Finances ont déclaré dans leur déclaration conjointe du G7 qu’ils étaient prêts à prendre des mesures, y compris des mesures budgétaires, s’il y a lieu, pour aider à lutter contre le virus et soutenir l’économie pendant cette période³. Nous considérons qu’il s’agit d’un élément positif – avec des taux d’intérêt moins élevés, il est relativement peu coûteux pour les décideurs de financer ces initiatives.

La politique budgétaire présente-t-elle donc un risque de hausse à court terme? Du point de vue de la confiance du marché, oui. Mais en ce qui concerne les politiques budgétaires, le délai entre l’annonce et la mise en œuvre réelle est généralement assez long. Il pourrait s’écouler quelques années avant que ces politiques aient des effets positifs, bien que des mesures comme des réductions des charges sociales ou des transferts monétaires puissent avoir un effet immédiat sur les dépenses de consommation et la croissance. Cela dit, les plans budgétaires ne seront pas tous efficaces. Ultimement, leur efficacité dépendra de la qualité de leur élaboration et de leur mise en œuvre.

Nous ne nous attendons pas à ce que les baisses de taux stimulent soudainement les dépenses de consommation ou le marché du logement déjà très performant. Cependant, elles peuvent stimuler les activités de refinancement, ce qui peut avoir un effet semblable à celui de mettre plus d’argent dans les poches de ceux qui choisissent de refinancer. Autrement dit, elles peuvent agir comme une réduction d’impôt. Bien que les craintes suscitées par l’éclosion puissent dissuader les consommateurs de dépenser cet argent à ce stade-ci, les choses changeront à mesure que le virus se dissipera. Essentiellement, cette demande à la hausse contribuera grandement à accélérer la reprise éventuelle.

Au début de l’année, nous avons constaté que les niveaux des stocks à l’échelle mondiale étaient inférieurs à ce qu’ils devraient être et que l’économie mondiale devrait tirer profit de la reconstitution des stocks. Bien que les entreprises ne soient pas susceptibles de prendre le train du réapprovisionnement avant que les craintes liées au virus se dissipent, cela finira par se produire.

Enfin, même si l’absence d’inflation peut être problématique, elle peut aussi soulager les entreprises. D’une part, cela pourrait signifier qu’aucune hausse de taux n’est à l’horizon, ce qui laisse croire que les entreprises ne feront probablement pas face à une hausse destructrice du coût des intrants ou des salaires. Selon nous, ces facteurs pourraient soutenir la croissance mondiale de façons importantes qui profiteront aux actifs risqués.

1 Federal Reserve issues FOMC Statement, federalreserve.gov, 3 mars 2020. 2 Bloomberg, 3 mars 2020. 3 Statement of G7 Finance Ministers and Central Bank Governors, département du Trésor des États-Unis, 3 mars 2020. 4 Italy unveils €3.6bn stimulus to tackle coronavirus, Financial Times, 1^er mars 2020.