La vie après le LIBOR : une nouvelle avenue pour les taux de référence

Le taux interbancaire offert à Londres (LIBOR) a été créé en 1969, lorsqu’un banquier grec nommé Minos Zombanakis a persuadé un consortium bancaire de Londres de prêter 80 millions de dollars à l’Iran. Aucune banque n’était à l’aise de consentir la totalité du prêt à elle seule. Cependant, ensemble, en calculant le taux d’intérêt sur la moyenne pondérée des coûts de financement, arrondi au huitième près et avec l’ajout d’un écart, les banques ont donné leur accord¹. Minos Zombanakis a alors inventé le terme LIBOR. La livre sterling, le yen, le franc suisse et l’euro figurent parmi les autres monnaies importantes pour lesquelles le LIBOR a finalement été coté.

Au cours des décennies suivantes, le LIBOR est devenu essentiel pour des milliards, puis des milliers de milliards de dollars de contrats financiers, y compris les swaps de taux d’intérêt, dont la portion variable était fondée sur le LIBOR plus un écart. Il était basé sur la question suivante : « À quel taux pourriez-vous emprunter des fonds, si vous demandiez et acceptiez des offres interbancaires dans un marché de taille raisonnable juste avant 11 h²? » Cette question comportait au moins deux problèmes intrinsèques : La banque pourrait-elle, en fait, emprunter à un tel taux, étant donné qu’elle n’était pas tenue d’indiquer une opération, et que signifie un « marché de taille raisonnable »? Les banques auraient naturellement tendance à proposer des taux de financement inférieurs à ceux qu’elles peuvent raisonnablement assumer afin d’améliorer leur situation – et possiblement leurs bénéfices – selon la nature de leurs positions.

Après la crise financière mondiale de 2008, le financement interbancaire a perdu en popularité en raison des nouvelles règles régissant les fonds propres et la liquidité. Le LIBOR, dès lors essentiellement fictif, n’impliquait que quelques centaines de millions de dollars d’opérations sous-jacentes, tout en servant de base de calcul pour des opérations pouvant représenter 400 000 milliards de dollars ou plus³.

Il devenait donc préférable de trouver un taux de référence fondé sur une liquidité supérieure et plus conforme à la réalité. Bien qu’il y eût des soupçons de fausse déclaration depuis longtemps, un scandale en règle a frappé le LIBOR en 2012, quand plusieurs banques ont reçu d’importantes amendes et que des hauts dirigeants ont été obligés de démissionner.

En 2014, la Réserve fédérale américaine a mis sur pied un comité sur le taux de référence complémentaire, l’Alternative Reference Rates Committee (ARRC) . L’ARRC a convenu d’un nouveau taux de financement à un jour garanti, le Secured Overnight Financing Rate (SOFR), qui sous-tendrait les opérations libellées en dollars américains en fonction des opérations à un jour garanties impliquant des ententes de rachat d’obligations du Trésor américain. Comme nous l’avons vu, depuis sa création, le LIBOR est basé sur des estimations. À l’opposé, le SOFR est mesurable et garanti, puisque les prêts à un jour sont adossés à des obligations du Trésor. Il s’agirait d’un taux pondéré en fonction du volume (selon la médiane des opérations) et, compte tenu des obligations du Trésor laissées en gage, il serait essentiellement sans risque, contrairement au LIBOR, qui n’est pas garanti et repose sur le crédit de la banque prêteuse.

En juillet 2019, le volume des prises en pension à un jour s’élevait à environ 1 000 milliards de dollars⁴. D’après la Federal Reserve Bank of New York, les volumes du LIBOR sur trois mois avoisinent les 500 millions de dollars par jour⁵. Par ailleurs, le SOFR est établi au jour le jour et rétrospectivement, car il est fondé sur des opérations qui ont déjà eu lieu, tandis que le LIBOR a des échéances allant d’un jour à 12 mois.

La nature au jour le jour du SOFR lui confère une plus grande volatilité que les instruments à plus long terme. De plus, l’expansion des marchés des contrats à terme fondés sur le SOFR constitue l’un des principaux défis de la transition. Afin de développer le marché, la Chicago Mercantile Exchange (CME) a commencé à inscrire à sa cote des contrats à terme fondés sur le SOFR d’un mois et de trois mois en mai 2018⁶. La liquidité de ces contrats devrait contribuer à générer des courbes prospectives qui, à leur tour, seront essentielles à des fins de couverture et de tarification.

La Financial Conduct Authority (FCA), organisme de réglementation du Royaume-Uni, a tiré un trait, déclarant qu’elle n’exigerait plus de LIBOR et ne s’attendrait plus à ce que les banques le lui soumettent d’ici la fin de 2021. En juillet 2020, un porte-parole de la FCA a affirmé que « les quatre à six mois à venir seraient vraisemblablement la période la plus critique de l’abandon du LIBOR »⁷.

Les principales devises internationales se dirigent vers les taux de référence complémentaires suivants : le GBP LIBOR sera remplacé par le Sterling Overnight Indexed Average (SONIA); l’EUR LIBOR et l’Euro Overnight Index Average (EONIA) seront remplacés par l’Euro Short-Term Rate (ESTR); le JPY LIBOR sera remplacé par le Tokyo Overnight Average Rate (TONA); et le CHF LIBOR sera remplacé par le Swiss Average Rate Overnight (SARON). Le SARON sera le seul nouveau taux garanti fondé sur des prises en pension autre que le SOFR. Certains considèrent que les taux non garantis sont plus attrayants, parce qu’ils facilitent la transition du LIBOR également non garanti, tandis que d’autres préfèrent un taux sans risque et plus vrai.

Bien que cela ne soit pas directement lié au LIBOR, un événement important s’est produit pendant la fin de semaine du 17 au 18 octobre 2020. Les deux chambres de compensation pour les swaps de taux d’intérêt, soit la London Clearing House et la CME, ont transféré l’actualisation des produits en dollars américains des fonds fédéraux vers le SOFR. L’objectif était principalement d’encourager une plus grande liquidité du SOFR.

Les participants ont reçu des versements en espèces correspondant à la différence dans l’évaluation des swaps et un swap de base les protégeant contre une exposition future à un taux différent. Ils ont également eu la possibilité de liquider leurs swaps de base lors d’une adjudication qui devait avoir lieu cette fin de semaine-là. Ceux qui ont choisi de ne pas prendre part à l’adjudication pouvaient conserver leur swap jusqu’à l’échéance ou le vendre dans le cours normal des activités.

En raison de la taille globale des opérations liées au LIBOR – non seulement les swaps, les obligations, les options, etc., mais aussi les ententes avec les dépositaires, les agents de transfert et les fournisseurs de données –, il y a beaucoup de travail à faire en prévision du passage des contrats fondés sur le LIBOR à des contrats fondés sur le SOFR ou des taux internationaux équivalents. Les sociétés financières parleront probablement de la création de groupes de travail internes spécialisés et des pourparlers avec les organismes de réglementation.

Plus particulièrement, ces communications traiteront du fait que certains contrats comportent déjà des clauses de rechange qui dictent comment les paiements seront ajustés après l’abandon du LIBOR. Ceux qui n’en ont pas feront l’objet de négociations entre les contreparties. Selon toute vraisemblance, les sociétés feront aussi preuve de prudence à l’égard des nouvelles opérations impliquant le LIBOR. Dans le cas des contrats existants, si ni le LIBOR ni un substitut acceptable ne s’applique après 2021, le LIBOR final pourrait être utilisé, ce qui transformerait une obligation à taux variable en obligation à taux fixe.

Il est impossible de couvrir les effets de l’abandon du LIBOR sur l’univers des produits financiers et les complexités de calcul sans entrer dans une explication beaucoup plus longue. Néanmoins, pour vous donner un aperçu de ce qui s’en vient, nous vous proposons quelques exemples.

• Le 1^er septembre, Fannie Mae a commencé à inscrire des prêts hypothécaires multirésidentiels à taux variable fondés sur le SOFR et a indiqué que le 1^er octobre, elle prévoyait commencer à en accepter la livraison. Fannie Mae n’acquerra plus de prêts hypothécaires multirésidentiels à taux variable après la fin de 2020⁸.
• Le 30 juin 2020, l’ARRC a publié une version mise à jour (la version précédente datait d’avril 2019) autorisant l’utilisation d’un simple SOFR quotidien à terme échu pour que les parties à des prêts syndiqués puissent passer à un taux de référence complémentaire, comme le SOFR, avant la date limite de la fin de 2021⁹.
• En ce qui concerne les produits dérivés, en juillet 2020, l’ISDA a publié des taux de rechange indicatifs de Bloomberg pour atténuer le risque d’abandon d’un taux de référence¹⁰.
• Il est prouvé que les billets à taux variable liés au LIBOR peuvent être renégociés malgré les défis posés par l’absence d’une clause de rechange. Considérée comme étant la première à avoir fait la transition, en 2019, la société Associated British Ports a réussi à convaincre les porteurs de billets d’accepter de passer du LIBOR au SONIA¹¹. Bien que cela soit prometteur, nous nous attendons à ce qu’il y ait des cas où il sera long et difficile pour les émetteurs et les porteurs de billets de parvenir à une entente.
• En ce qui a trait aux nouvelles émissions, pour l’établissement des taux des banques, des institutions financières spécialisées d’intérêt public à capitaux privés, des titres adossés à des créances et d’autres billets à taux variable, cela signifie qu’au lieu d’une tarification selon le LIBOR plus un écart, on opterait probablement pour le SOFR plus un écart légèrement supérieur afin d’égaler le même rendement présumé au cours de la première période¹².

En bref, le passage du LIBOR à d’autres taux de référence exigera beaucoup de travail ponctuel propre à chaque situation. Bien qu’il soit difficile de savoir quelle sera l’évolution de la relation entre le LIBOR et les autres taux, heureusement, le secteur financier est conscient des difficultés et déploie des ressources importantes pour les surmonter.

1 bloomberg.com, 29 novembre 2016. 2  Federal Reserve Bank Staff Report n^o 667, mars 2014. 3 BIS Quarterly Review, mars 2019. Comme la majeure partie de ce montant provient de produits dérivés, il peut sembler exagéré. 4 sifma.org, 15 juillet 2019. 5 Federal Reserve Bank of New York, sur medium.com, 26 novembre 2018. 6 federalreserve.gov. 7 « Libor Troubles Deepen as Deadline for Benchmark’s Demise Approaches », The Wall Street Journal, 14 août 2020. 8 capmrkt.fanniemae.com. 9 clsbluesky.law.columbia.edu. Discussion avec les avocats de Paul Weiss. 10  isda.org. 11 cws-lawnow.com, juin 2019. 12 « Are Treasury or banks the next big issuer of SOFR floaters? », bloomberg.com, 19 novembre 2019.