Perspectives du marché : incertitude croissante

À la mi-août, nous avons constaté que l’économie mondiale était entrée dans la deuxième phase de la reprise, que nous avons appelé la stagnation et nous avons souligné six thèmes macroéconomiques clés qui, selon nous, façonneraient les marchés des capitaux au cours des deux à trois prochains mois, particulièrement aux États-Unis. 

Compte tenu du niveau d’incertitude auquel nous faisons face et de l’évolution rapide des événements, il n’est pas surprenant que nos points de vue sur ces thèmes tactiques aient évolué. Il est donc logique de faire le point et d’expliquer comment notre point de vue a changé. 

Selon nous, les prochaines semaines seront caractérisées par :

• Un contexte de marché qui demeure difficile pour les actifs risqués;
• Un frein dans la baisse du dollar américain et la probabilité d’un renforcement du billet vert avant les élections;
• Un dénouement temporaire de positions imputable à l’inflation. 

Ce que nous avons écrit en août :

Lorsque l’avalanche de données économiques hebdomadaires et mensuelles exceptionnelles s’arrêtera, l’anxiété réapparaîtra, ce qui refroidira l’engouement général pour le risque. Cela signifie que la progression des actifs risqués sera plus lente qu’elle l’a été entre avril et juillet.

Notre point de vue actuel :

Il est important de noter que nous ne prévoyons pas une récession à double creux ni une reprise en forme de « W ». Nous continuons plutôt de croire que la phase actuelle sera définie par un contexte de stagnation dans la situation économique et que l’amélioration surprise des statistiques économiques, qui a enjoué les investisseurs, s’estompera pendant cette phase de reprise. La vaste majorité des données à haute fréquence ainsi que les nombreuses données économiques traditionnelles ont confirmé notre opinion.

Cependant, au cours du dernier mois, nous avons également constaté que la phase de stagnation prenait la forme de la lettre K. Nous nous attendons donc à voir une disparité dans la reprise, avec une poursuite de l’amélioration du secteur manufacturier, lequel est beaucoup moins freiné par les exigences en matière de distanciation sociale, et un ralentissement et un affaiblissement du secteur des services. Cela est particulièrement important pour le marché boursier, qui est beaucoup plus axé sur le secteur manufacturier que sur celui des services. En effet, nous pensons qu’une reprise en forme de K accentuera vraisemblablement le sentiment de fossé qui sépare le marché boursier et l’économie, ce qui pourrait limiter la chute des indices boursiers mondiaux.

Conséquences pour le marché

Nous nous attendons à ce que les données économiques mondiales demeurent inférieures aux attentes en raison des inquiétudes suscitées par une deuxième vague d’éclosion de COVID-19 et des autres événements macroéconomiques susceptibles de provoquer de la volatilité. Par conséquent, nous nous attendons à ce que les actifs risqués se négocient dans une fourchette relativement étroite avec une plus grande probabilité de périodes d’aversion pour le risque.

En l’absence d’un nouveau train de mesures budgétaire aux États-Unis, les prévisions continueront d’être révisées à la baisse, les données économiques étant inférieures aux attentes, ce qui pèsera sur la confiance générale à l’égard du risque.

Ce que nous avons écrit en août :

Aux États-Unis, on note un vide budgétaire, tandis que l’impulsion budgétaire à l’échelle mondiale va commencer à s’essouffler. Cette situation nuira à la croissance et pourrait fausser les données.

Notre point de vue actuel :

Avec du recul, il semble maintenant que même nos perspectives quelque peu pessimistes du mois d’août — qui découlent d’un consensus — étaient trop optimistes. Notre hypothèse de base a maintenant évolué, passant de l’idée d’un vide budgétaire à court terme à celle d’une adoption peu probable par le Congrès d’une phase quatre du train de mesures budgétaires avant les élections de novembre, accentuant le gouffre budgétaire contribuant à freiner la reprise en lien avec l’expiration des prestations de chômage. Nous nous attendons à ce que cela vienne renforcer la situation de stagnation qui se répercute sur les données économiques d’ici la fin de l’année, ce qui pourrait aussi réduire les attentes d’inflation.

Cela dit, il est clair que l’impulsion budgétaire des États-Unis s’estompe beaucoup plus rapidement que celle de la plupart des pays développés, et nous nous concentrons maintenant davantage sur ce problème en matière de politique qui constitue essentiellement l’enjeu aux États-Unis.

Conséquences pour le marché

En l’absence d’un nouveau train de mesures budgétaires, les prévisions continueront d’être révisées à la baisse, les données économiques étant inférieures aux attentes, ce qui pèsera sur la confiance générale à l’égard du risque.

Ce que nous avons écrit en août :

Nous nous attendons à ce que le marché soit, au moins temporairement, préoccupé par la possibilité d’une stagflation, lorsque la dérivée seconde de la plupart des statistiques sur l’inflation commencera à changer de direction. 

Notre point de vue actuel :

Selon nous, les attentes d’inflation pourraient être supérieures à 2,0 % et, en fait, elles ont atteint un niveau conforme aux attentes des marchés, qui s’attendaient à une inflation supérieure à 2,0 %. Cependant, les facteurs qui nous ont conduits à penser ainsi – les importantes dépenses budgétaires, l’affaiblissement du dollar américain et le raffermissement des prix des produits de base– ont maintenant perdu en partie de leurs vigueurs. Même si nous demeurons convaincus que l’inflation grimpera au-dessus de 2,0 % à 3,0 % au cours des 12 prochains mois et que des occasions de placement offrant une protection contre l’inflation se présenteront, pour le moment, l’accent sera probablement de nouveau mis sur la déflation. Voir notre document « Point de mire :Les forces inflationnistes aux États-Unis », dans lequel nous avons parlé de la façon dont nous traverserons des périodes au cours desquelles nous craignent une déflation et tantôt d’autres au cours desquelles nous nous inquiétons de l’inflation. 

Conséquences pour le marché

Les opérations offrant une protection contre l’inflation seront probablement moins nombreuses, tandis que les positions fondées sur l’accentuation de la courbe pourraient être dénouées en l’absence de nouvelles mesures de relance budgétaire aux États-Unis.

Ce que nous avons écrit en août :

Une hausse soudaine des taux d’intérêt et un ralentissement de la croissance entraîneront probablement une nouvelle intervention des banques centrales, en particulier de la Fed et de la Banque centrale européenne (BCE), au cours des prochains mois. Si elles agissent comme prévu, leur intervention permettra de contenir les taux nominaux, alors que les taux réels continueront de baisser.

Notre point de vue actuel :

Une divergence entre la Réserve fédérale américaine (Fed) et la plupart des autres grandes banques centrales s’observe. La Fed s’est tournée vers une forme de ciblage de l’inflation moyenne, indiquant que les taux d’intérêt resteront faibles pendant une longue période. Cependant, les commentaires du président de la Fed, Jerome Powell, lors de la réunion du 16 septembre, ainsi que les diverses communications de plusieurs représentants de la Fed au cours de la semaine suivante, suggèrent que la barre à atteindre pour que la Fed procède à de nouvelles baisses de taux à partir de maintenant est assez haute et que la Fed n’a pas encore déterminé exactement ce que le ciblage de l’inflation moyenne signifie concrètement, des messages politiques embrouillés. Même si la Fed pourrait réviser rapidement sa position, cela nous porte à croire qu’elle est beaucoup moins susceptible qu’initialement anticipée d’aller de l’avant avec d’autres mesures d’assouplissement, en l’absence d’un choc majeur.

Par contre, tout indique que plusieurs autres grandes banques centrales tiennent à être plus actives sur le front des politiques. La BCE est notamment préoccupée à juste titre par l’effet désinflationniste des taux de change découlant du raffermissement de l’euro pondéré en fonction des échanges et n’a pas hésité à exprimer son opinion à ce sujet. Selon nous, la BCE pourrait prendre d’autres mesures de relance dès décembre, bien qu’une mise en œuvre au premier trimestre de 2021 semble plus probable. La Banque d’Angleterre devrait également annoncer d’autres mesures d’assouplissement au début de l’année prochaine pour relever les défis économiques croissants après le Brexit. Les commentaires de la Banque d’Angleterre suggèrent que les taux directeurs négatifs restent envisageables au Royaume-Uni.

Dans la région du Pacifique, la Banque de réserve d’Australie est également susceptible de procéder à un léger rajustement à la baisse de son taux directeur pour se situer près de sa valeur plancher, et la Banque de réserve de Nouvelle-Zélande semble souhaiter descendre sous la limite inférieure.

Conséquences pour le marché

Le fossé grandissant dans l’orientation des politiques — la Fed faisant une pause tandis que d’autres grandes banques centrales sont prêtes à agir — laisse entendre qu’il est au moins possible de freiner la récente baisse du dollar américain. L’évolution des événements politiques aux États-Unis et géopolitiques à l’échelle mondiale pourrait permettre au billet vert de se raffermir à court terme, ce qui aurait également une incidence sur d’autres thèmes macroéconomiques.

Selon nous, les marchés ont été préoccupés par l’incidence des politiques budgétaires et monétaires et n’ont pas accordé suffisamment d’attention à la montée en flèche des risques géopolitiques mondiaux.

Ce que nous avons écrit en août :

Les préoccupations géopolitiques à l’échelle mondiale vont probablement attirer l’attention des marchés au cours des prochains mois, et divers problèmes – allant du découplage entre les États-Unis et la Chine aux élections américaines de novembre, en passant par les turbulences dans certains des principaux marchés émergents comme la Turquie – vont être au centre des préoccupations. 

Notre point de vue actuel :

En août, nous pensions que les tensions géopolitiques deviendraient des problèmes plus vastes, allant bien au-delà des relations entre les États-Unis et la Chine. En effet, les problèmes géopolitiques sont de plus en plus nombreux et pourraient exacerber l’incertitude et remettre en question le risque. Parmi ceux-ci, notons :

• La situation problématique liée au Brexit, le gouvernement britannique ayant menacé de réécrire unilatéralement des sections de l’accord de retrait entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni de l’année dernière, ce qui a donné lieu à une plus grande incertitude entourant les perspectives économiques et politiques de la région.
• Les tensions entre l’UE et la Russie à la suite de l’empoisonnement de l’opposant politique russe Navalny.
• La contestation des élections au Bélarus qui a révélé d’autres fissures dans le corps diplomatique de l’UE.
• Un sommet sino-européen plus difficile que prévu au cours duquel l’Europe a rendu plus pressantes ses demandes concernant l’accès au marché. Cette situation a manifestement ouvert la voie à un thème potentiellement important qui pourrait façonner l’année 2021, soit la présentation par les États-Unis et l’Union européenne d’un front unifié pour obtenir des accords et des concessions de la Chine.

Plus important encore, il est de plus en plus probable que le gagnant des prochaines élections américaines ne sera connu qu’après le 3 novembre. De plus, nous croyons que les marchés ont sous-évalué la probabilité que le président Trump remporte un deuxième mandat et que les républicains gardent le contrôle du Sénat.

Conséquences pour le marché

Selon nous, le marché a été préoccupé par l’incidence des politiques budgétaires et monétaires et n’a pas accordé suffisamment d’attention à la montée en flèche des risques géopolitiques mondiaux – nous pensons que ces risques géopolitiques mondiaux sont actuellement sous-évalués.

Ce que nous avons écrit en août :

La croissance économique et l’excellent rendement du marché aux États-Unis risquent de ne pas durer et les marchés non américains deviendront plus intéressants dans ce contexte. 

Notre point de vue actuel :

Nous nous attendions à ce que la phase de stagnation de la reprise cause un tort plus grave aux économies fondées sur les services qu’aux économies reposant sur le secteur manufacturier, nuisant davantage aux États-Unis et au Royaume-Uni qu’aux économies industrielles de l’Europe du Nord et de l’Asie du Nord. Le gouffre budgétaire était un autre facteur qui devait peser sur l’économie américaine en particulier. Selon nous, ces deux scénarios restent intacts et ont contribué au fait que les actifs américains aient été frappés relativement plus durement ces dernières semaines.

Cependant, bien que nous continuions de privilégier les actifs non américains par rapport aux actifs américains sur le plan tactique, nous sommes conscients de l’affaiblissement de l’incidence favorable du dollar américain. En ce qui concerne la tendance à long terme, le billet vert devrait selon nous marquer une pause pendant un ou deux trimestres, mais un raffermissement en réponse à l’incertitude politique est possible.

Conséquences pour le marché

Nous continuons de croire que les actifs américains sont surévalués par rapport aux actifs semblables et garderont ce thème dans nos perspectives tactiques. Toutefois, l’affaiblissement de l’incidence favorable du dollar américain laisse entendre que cette position est vraisemblablement moins intéressante qu’il y a un mois.