L’investissement guidé par le passif : pour équilibrer le risque et le rendement dans un monde incertain

Cependant, à la fin de l’année, ce ratio de capitalisation était tombé à 84 %, en raison de la forte baisse du marché boursier au quatrième trimestre. Aux États-Unis, l’actif des régimes de retraite est passé de 1 480 milliards de dollars à la fin de 2017 à environ 1 330 milliards de dollars à la fin de 2018¹.

L’incertitude continue de hanter les marchés. Le revirement des prévisions de hausse de taux d’intérêt de la Réserve fédérale des États-Unis (la Fed) cette année a exacerbé la crainte d’un ralentissement de la croissance aux États-Unis. Dans la foulée de l’annonce faite par la Fed en mars, l’écart entre le taux de l’obligation à 3 mois et le taux de l’obligation à 10 ans aux États-Unis – mesure importante surveillée par la Fed et considérée comme un indicateur d’une récession à venir – s’est inversé pour la première fois en plus de 10 ans.

Parallèlement, l’écart entre le taux de l’obligation à 2 ans et le taux de l’obligation à 10 ans est tombé sous la barre des 10 points de base pour la première fois cette année. Il s’agit du principal indicateur que les investisseurs surveillent, car il s’est inversé avant chaque récession depuis la Seconde Guerre mondiale.

Les fluctuations des marchés et du ratio de capitalisation depuis la fin de l’année dernière ont probablement incité de nombreux promoteurs de régime à revoir la stratégie de gestion de leur régime. La volatilité observée au quatrième trimestre de 2018, surtout en décembre, quand les actions ont enregistré l’une de leurs plus mauvaises performances depuis la grande récession, a démontré à quel point les conditions changent rapidement.

Cela explique peut-être pourquoi les promoteurs de régime américains s’intéressent de plus en plus à l’investissement guidé par le passif (IGP) – un cadre d’investissement qui utilise comme référence le passif du régime de retraite plutôt qu’un indice du marché à titre de référence pour évaluer le rendement des placements.

Notre objectif est de souligner la manière dont un cadre IGP pourrait aider les promoteurs de régime de toutes tailles à mieux gérer la volatilité du ratio de capitalisation, et d’expliquer pourquoi nous pensons que l’inaction pourrait être coûteuse. 

La raison d’être de l’IGP est relativement simple : les marchés des capitaux évoluent à leur propre rythme, indépendamment des obligations d’un régime. Il est par conséquent difficile pour un promoteur de régime dont le portefeuille suit un indice de marché de s’attendre à ce que le régime soit en mesure d’honorer ses obligations de manière durable et fiable. La sélection d’un indice de référence approprié est essentielle pour les promoteurs de régime, car le profil de risque économique d’un indice de marché peut être très différent du profil de risque lié au passif d’un régime de retraite. C’est pour cela que le cadre IGP s’appuie sur le concept d’appariement du passif.

Pour mettre en œuvre une stratégie IGP, un régime doit habituellement scinder son portefeuille en deux :

• Portefeuille de couverture – un volet de couverture harmonisé avec les engagements du régime et composé habituellement d’instruments à revenu fixe ainsi que d’autres actifs générant des revenus;
• Portefeuille de croissance – un volet « de croissance » ou de recherche de rendement qui peut contribuer à combler toute lacune dans la capitalisation du régime.

Normalement, un régime amorce le processus de réduction du risque en déterminant la proportion du passif qu’il faut couvrir, établissant ainsi le ratio de couverture, le reste de l’actif demeurant placé dans un portefeuille diversifié de titres de croissance générant des rendements. Un cadre dynamique de répartition de l’actif permet aux promoteurs de régime d’ajuster, au fil du temps, leur répartition entre le portefeuille de couverture et le portefeuille de croissance.

Pour les aider à déterminer précisément à quel moment ils devraient rajuster la répartition entre les deux portefeuilles, de nombreux promoteurs de régime choisissent une stratégie de réduction progressive des risques. Dans sa forme la plus simple, cette stratégie sert à décider à quel moment un régime en quête de la pleine capitalisation devrait augmenter la part de l’actif attribué au portefeuille de couverture, en fonction de différentes conditions.

Voici les trois conditions les plus courantes, ou facteurs déclencheurs, utilisées pour l’ajustement progressif des risques :

1. Ratio de capitalisation : Au fur et à mesure que le ratio de capitalisation d’un régime s’améliore, les promoteurs peuvent protéger leurs gains en réduisant leur exposition aux actifs de croissance et en couvrant davantage leurs engagements.
2. Niveaux des taux d’intérêt : Certains promoteurs de régime hésitent à investir dans des obligations à long terme ou à couvrir une partie importante de leurs engagements dans le contexte actuel de faibles taux d’intérêt. Ils fixent plutôt des seuils de taux et augmentent leurs niveaux de couverture une fois que les seuils ont été atteints.
3. Heure : L’inaction pouvant exposer un régime à un risque encore plus grand, il peut être utile d’établir un calendrier afin que les attentes demeurent réalistes. Les promoteurs de régime peuvent espérer une hausse des taux ou une amélioration du ratio de capitalisation grâce à la répartition de l’actif du régime; néanmoins, si leurs prévisions ne se confirment pas tout à fait, il arrive un moment où il est préférable d’aller de l’avant et d’entreprendre le processus d’atténuation des risques.

L’un des principaux avantages d’un cadre dynamique de répartition de l’actif réside dans le fait qu’il permet au régime de cristalliser les gains provenant du portefeuille de croissance en le transférant dans le portefeuille de couverture au fur et à mesure qu’il est réalisé. Un autre avantage potentiel tient au fait que, lorsque les promoteurs versent des cotisations supplémentaires au régime, son ratio de capitalisation s’améliore. Par conséquent, toute cotisation supplémentaire sera habituellement investie de manière moins audacieuse qu’en l’absence d’ajustement.

Selon l’approche IGP traditionnelle, qui consiste simplement en un rééquilibrage systématique visant à atteindre une composition fixe de l’actif dans un rapport 60/40, il revient au marché de déterminer le montant des engagements qu’un régime veut protéger, ce qui n’est en général pas l’idéal. Dans un cadre dynamique de répartition de l’actif, le régime commence par fixer la proportion des engagements à couvrir (ratio de couverture des engagements d’un régime), qui sert à déterminer le montant approprié à investir dans des obligations. Le reste des actifs est alors investi dans un portefeuille diversifié d’actifs de croissance. À notre avis, les promoteurs peuvent ainsi mieux gérer et réduire les risques parce qu’ils peuvent contrôler le ratio de couverture de leurs engagements et l’exposition aux actifs de croissance.

Selon les paramètres convenus au moment de la mise en œuvre de l’ajustement, le régime de retraite peut aussi déterminer le rythme de l’atténuation des risques et les sources des risques qu’il est disposé à accepter entre-temps.

Prenons, par exemple, un régime de retraite dont le ratio de capitalisation initial est de 90 % qui a affecté 40 % de son actif à son portefeuille de couverture et réparti le reste de manière égale entre deux catégories d’actif – les actions américaines et les actions internationales. Supposons également que le promoteur du régime ait adopté une stratégie de répartition dynamique de l’actif et décidé de relever son ratio de couverture du passif de 2 % chaque fois que son ratio de capitalisation augmente de 1 %.

Selon nos calculs, la volatilité du ratio de capitalisation sera nettement moindre si le régime a opté pour le cadre de répartition dynamique de l’actif. Sur une période de 10 ans, l’écart entre les ratios de capitalisation maximum et minimum du régime serait de l’ordre de 15 %, contre plus de 25 % s’il avait opté pour la stratégie de répartition traditionnelle de l’actif. En effet, la répartition dynamique de l’actif permet au régime de gérer le degré de couverture de son passif; les gestionnaires du régime n’ont pas leur mot à dire selon l’approche traditionnelle; c’est le marché qui décide.

Notre étude montre qu’au fil du temps, le ratio de couverture du régime devrait progresser de manière relativement régulière vers le niveau de capitalisation ciblé selon le cadre de répartition dynamique de l’actif. En revanche, ce ratio de couverture aurait simplement évolué en synchronie avec le marché si le régime avait opté pour l’approche traditionnelle. Cette augmentation de la volatilité du ratio de capitalisation a pour effet d’accroître la volatilité des cotisations.

Les banques centrales ont commencé à démanteler les politiques monétaires mises en place dans le sillage de la crise financière mondiale de 2007-2008 et les taux d’intérêt sont repartis vers le haut sur les marchés développés. Ce changement d’orientation pourrait créer de nouvelles difficultés pour les promoteurs de régime; en effet, les taux de rendement mondiaux ont beau rester bas d’un point de vue historique, les conditions financières ont commencé à se resserrer et la montée des taux d’intérêt pourrait nuire aux rendements. Certains craignent donc que les régimes soient contraints de relever les profils de risque de leurs portefeuilles en y intégrant des actifs à rendement plus élevé, dans l’espoir qu’ils les aident à respecter leurs engagements.

Pour pallier ce risque, les promoteurs peuvent notamment envisager d’affecter une partie de leur portefeuille de couverture à un ensemble diversifié de catégories d’actif qui serait complémentaire à leur portefeuille de titres à revenu fixe. Parmi les actifs qui, selon nous, conviendraient, citons l’immobilier, les infrastructures, le bois d’œuvre, l’agriculture et les stratégies de rendement absolu. Idéalement, ces actifs devraient afficher une faible corrélation avec ceux du portefeuille de croissance. L’objectif est de créer un portefeuille de couverture diversifié qui tient compte des engagements du régime.

Cette approche, que nous appelons « IGP Plus », est plus efficace lorsqu’une combinaison de ces actifs compose une partie du portefeuille de couverture. On remplace ainsi de façon efficace les obligations à plus faible rendement par des placements non traditionnels en tenant compte de leurs caractéristiques sur le plan du revenu de même que de leur corrélation avec les engagements. L’objectif final consiste à améliorer les rendements tout en maintenant un bon appariement avec les engagements du régime.

S’ajoutant aux obligations composant le portefeuille de couverture, le revenu provenant de ces actifs peut servir à couvrir une part plus importante des engagements du régime. De plus, l’inclusion de ces actifs réels productifs de revenus dans le portefeuille de couverture peut offrir un meilleur rapport risque-rendement potentiel.

L’introduction de dérivés dans une stratégie IGP peut aussi faire fructifier davantage le portefeuille. Les dérivés sont généralement sous-utilisés par la plupart des régimes de retraite, sauf les plus importants, en raison de leur complexité ou des risques perçus. Bien que leur utilisation puisse comporter des risques, ils peuvent être atténués grâce à une bonne gestion. Nous sommes d’avis que les régimes de retraite peuvent tirer parti de l’utilisation appropriée de ces instruments, mais il est essentiel que les promoteurs de régime s’assurent que leur politique de placement établit et plafonne à l’avance l’effet de levier qu’ils veulent et peuvent utiliser. Il est également essentiel de bien gérer les garanties et la liquidité.

Une stratégie IGP traditionnelle utilise des titres physiques à la fois pour les composantes de couverture et de croissance, mais cette approche peut limiter la capacité potentielle de répartition de l’actif d’un régime. Dans l’exemple hypothétique illustré ci-après, la première colonne représente un régime de retraite suivant la composition traditionnelle, à savoir une répartition de 60 % et de 40 % entre les actifs de croissance et de couverture, ce qui se traduit naturellement par l’investissement de la totalité de ses actifs. Toutefois, comme nous pouvons le voir, en recourant à des produits dérivés, le même régime peut maintenir son volet actuel de croissance tout en augmentant son exposition aux actifs de couverture. Lorsqu’il se sert de produits dérivés ayant divers degrés de levier, un régime peut couvrir une partie plus importante de ses engagements et ainsi réduire son exposition globale au risque.

De cette manière, l’effet de levier peut aussi être avantageux du point de vue du rendement. Tant que le rendement prévu des actifs de croissance est supérieur aux taux d’intérêt à court terme utilisés pour investir dans les obligations, le rendement excédentaire prévu des actifs de croissance devrait améliorer le rendement du portefeuille de couverture. Mais, si ce n’est plus le cas, les actifs de croissance devraient être vendus et l’endettement réduit ou éliminé, tout en conservant les obligations.

Par le passé, l’IGP était perçu comme un concept réservé aux régimes de retraite plus importants, car ces stratégies exigent normalement un soutien solide sur le plan des opérations et de la gouvernance. Cependant, à mesure que les stratégies IGP ont gagné en popularité, leur mise en œuvre s’est modernisée. Par exemple, les solutions de placement collectif peuvent répondre efficacement aux besoins d’appariement du passif des caisses de retraite de petite et de moyenne taille. Ces produits en gestion commune offrent aux promoteurs de régime la possibilité de répartir l’actif entre divers fonds adaptés à des caractéristiques démographiques particulières et des profils d’obligations qui correspondent au profil de passif du régime. Ils peuvent fournir des flux de trésorerie prévisibles et stables, sont liquides – ils font l’objet d’une évaluation quotidienne – et sont facilement intégrés dans une stratégie de réduction progressive du risque.

La prochaine étape logique est l’IGP pour les régimes à cotisation déterminée et les particuliers. Une stratégie de décaissement peut être utilisée pour créer une sorte de régime à prestations déterminées personnalisé, dans le cadre duquel le passif à couvrir est le revenu de retraite du particulier.

Pour ce faire, on peut mettre en place un portefeuille de titres à revenu fixe qui correspond au revenu minimum qu’un participant espère obtenir à la retraite. Le reste de l’actif est ensuite investi dans une stratégie de croissance afin de générer un revenu supplémentaire et de veiller à ce que l’actif dure aussi longtemps que nécessaire. Encore une fois, cela ressemble à une stratégie de réduction progressive des risques pour les régimes à prestations déterminées. Comme pour le ratio de couverture d’un régime à prestations déterminées, les gains de la stratégie de croissance sont automatiquement immobilisés et convertis en titres à revenu fixe, afin de procurer un revenu plus élevé.

L’IGP a fait beaucoup de chemin depuis l’époque où l’on transférait la totalité d’un portefeuille dans des obligations et elle ne se limite pas à suivre un indice obligataire à long terme. Les promoteurs de régime de toutes tailles peuvent maintenant choisir parmi une gamme de solutions de réduction des risques en fonction de leurs besoins particuliers. Ce qui est peut-être le plus important pour les promoteurs de régime, c’est de décider de franchir cette première étape. Il n’est pas inhabituel que les promoteurs de régime ajournent la mise en œuvre de stratégies de réduction des risques en invoquant la faiblesse des taux d’intérêt. Certains promoteurs ont indiqué qu’ils préféreraient attendre que les taux d’intérêt augmentent pour agir — une position sensée à première vue. Toutefois, en choisissant d’attendre une hausse des taux d’intérêt, les promoteurs décident – par défaut – d’assumer le risque présenté par les actions ainsi que le risque de taux d’intérêt.

La capitalisation du régime pourrait alors se détériorer si les difficultés du marché persistent. À nos yeux, bien qu’il soit difficile de déterminer quel serait le moment idéal pour mettre en œuvre des stratégies IGP ou de réduction des risques, le moment n’est jamais mal choisi pour élaborer un plan d’avenir.

1 « Funded status of largest U.S. corporate pension plans slipped in 2018, Willis Towers Watson analysis finds », Willis Towers Watson, 2 janvier 2019. 2 La stratégie traditionnelle est rééquilibrée chaque mois selon la répartition cible. La stratégie de répartition dynamique est rééquilibrée chaque mois pour atteindre le ratio de couverture cible dynamique.