Ruptures de digues : défis de gestion des risques dans le secteur minier mondial
À mesure que les changements climatiques accroissent les risques de défaillance des digues à rejets et la gravité de ces incidents, l’importance des structures et de l’entretien des digues devient plus en plus évidente en ce qui concerne l’évaluation des sociétés. Fred Isleib, directeur principal, Recherche et intégration des facteurs ESG, et David Dugdale, analyste principal des placements, expliquent comment les gestionnaires de placements et leurs clients peuvent tirer profit d’un engagement direct plus concret avec leurs sociétés de portefeuille pour favoriser des pratiques durables dans le secteur.
Points à retenir
Les changements climatiques et le déclin continu des niveaux de minerai à l’échelle mondiale laissent entrevoir une hausse des risques de rupture des digues à rejets et une aggravation de ces incidents.
Une analyse rigoureuse de la durabilité (allant de la toxicité des résidus à la sismicité de la région, en passant par la densité de la population environnante) peut permettre aux investisseurs de bien mesurer ces risques dans les évaluations des entreprises.
Nous croyons que les investisseurs doivent encourager les sociétés à faire preuve de plus de transparence quant aux risques associés aux digues à rejets, et les inciter à adopter des normes pour mieux prévenir les défaillances.
Des catastrophes aux répercussions profondes
Le 25 janvier 2019, dans la petite ville de Brumadinho, au Brésil, une digue à rejets de 280 pieds de hauteur a cédé à la mine Córrego do Feijão. Le barrage, inactif depuis près de trois ans, aurait contenu 13 millions de mètres cubes d’oxyde de fer, d’eau et de produits chimiques. Lorsque son mur de soutènement s’est brisé, un tsunami de boues a déferlé à une vitesse terrifiante, engloutissant des arbres, des bâtiments, des voitures et tous les malheureux sur son chemin.
Cette catastrophe, la deuxième défaillance de digue majeure dans cette région du Brésil en trois ans, s’est traduite par d’importantes pertes en vies humaines et des dommages environnementaux non négligeables. Au bilan, plus de 300 décès, et, selon certaines estimations, la durabilité de la vie marine a été mise en péril sur environ 120 km de la rivière Paraopeba adjacente (zone également rendue impropre à la consommation humaine et à l’agriculture). Bref, ce désastre continuera d’avoir de profondes répercussions sur des centaines de collectivités1.
La plupart des accidents liés aux résidus résultent de ruptures de barrage, mais ce fait a étonnamment peu attiré l’attention au fil des ans. Selon nous, cette situation doit changer, tant pour le bien des collectivités qui vivent dans l’ombre de ces installations que pour la durabilité économique du secteur. D’ailleurs, la récente tragédie est porteuse de leçons qui donnent à réfléchir, tant pour les gestionnaires de placements cherchant à tirer de la valeur du secteur qu’à l’égard des pratiques standards de l’industrie en ce qui concerne la construction de digues et leur contrôle réglementaire.
Impact des ruptures de digues à rejets sur les évaluations
La mine Feijão appartient à Vale SA, le plus important producteur de minerai de fer et de nickel au monde, un des fleurons de l’économie brésilienne. Il ne fait aucun doute que les sociétés minières comme Vale fournissent des ressources naturelles indispensables et une contribution précieuse à la croissance économique mondiale – le fer, par exemple, constitue l’épine dorsale de l’architecture urbaine et des infrastructures municipales à l’échelle de la planète. En revanche, comme les cas d’effondrement de digues à rejets nous le rappellent, d’importants risques sont omniprésents dans ce segment de l’économie mondiale.
Selon nous, les investisseurs doivent tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer adéquatement les sociétés minières qui ont des digues à rejets actives ou inactives. Pensons notamment au risque de responsabilité criminelle et civile en cas de décès ou lorsque les autorités perçoivent une négligence de la part d’une entreprise à l’égard de l’effondrement d’un barrage. De plus, les sociétés peuvent subir une perte de main-d’œuvre après l’événement, la suppression de leur capacité de production, la perte de l’acceptabilité sociale, le resserrement de la réglementation et la modification de leurs primes d’assurance.
Bien qu’il existe une faible corrélation entre le coût total des défaillances et le volume de résidus perdus, le coût total tend davantage à dépendre de l’ampleur des dégâts collatéraux : superficie couverte, toxicité estimée des matières déversées et décès2. À la lumière des incidents passés, la densité de la population au pourtour d’une mine, la proximité d’un réseau fluvial, l’activité sismique de la région et la toxicité des matières résiduelles font à notre avis partie des facteurs qui aggravent les risques de responsabilité à l’égard d’une rupture.
Notons que l’important contrecoup sur l’évaluation ne diminue pas lorsqu’une digue à rejets passe de l’état actif à l’état inactif. Si environ 75 % des défaillances sont attribuables à des mines actives3, le barrage de Feijão montre bien que les sociétés minières peuvent également être tenues responsables de la défaillance de digues inactives, et qu’elles doivent assumer les coûts liés à la sécurité des barrages inactifs à perpétuité.
Pour les investisseurs, ces risques se reflètent dans la volatilité des cours boursiers qui se manifeste à la suite d’échecs de stockage des déchets. Peu de temps après l’incident Feijão, l’action de Vale a dégringolé de 25 %, éliminant près de 20 milliards de dollars américains de la capitalisation boursière de la société avant de remonter. Or, comme Vale représente le plus grand producteur de minerai de fer au monde, la réduction de production imposée par le gouvernement a fait grimper le cours en flèche, compensant l’impact de la baisse des volumes de production ainsi que de la perspective d’amendes importantes et de travaux de restauration.
L’effet sur le cours des actions se ressent davantage chez les entités moins diversifiées qui tirent la majorité de leurs revenus d’une ou de deux mines en exploitation. Par exemple, la défaillance du barrage du Mont Polley en Colombie-Britannique remonte à cinq ans, mais le cours des actions de l’entreprise minière canadienne Imperial Metal n’a toujours pas rebondi. Selon nous, les investisseurs ont raison de prendre les incidents miniers majeurs au sérieux. Le risque auquel ils sont exposés en tant qu’actionnaires va bien au-delà de la volatilité des cours boursiers. Dans certains cas, la viabilité à long terme des sociétés peut être en jeu.
Les changements climatiques compliquent la gestion des résidus
Si les digues à rejets, particulièrement en amont, sont si dangereuses, c’est en raison de la grande quantité d’eau qu’elles contiennent. Les procédés d’extraction du minerai nécessitent souvent de concasser et de broyer le minerai en une fine poudre, que l’on mélange ensuite avec de l’eau pour faciliter la récupération de certains minéraux. Certaines techniques font aussi appel à des produits chimiques pour séparer les minéraux du minerai, ce qui rend les bassins de décantation toxiques. Par conséquent, la majeure partie des rejets miniers produits, qui à eux seuls représentent jusqu’à 98 % de la quantité totale de minerai extrait, consistent en une boue toxique composée d’eau et de matières solides. Or, comme il n’y a aucun moyen productif d’utiliser les résidus, la gestion de ces déchets génère pour les sociétés minières un coût direct qu’elles sont encouragées à réduire.
Contrairement aux digues de rétention d’eau, celles à rejets sont érigées au moyen d’« élévations » tout au long de la durée de vie d’une mine. Ainsi, chaque expansion vient ajouter du poids, ce qui crée de la pression et une potentielle instabilité. Bien entendu, la quantité de pluie pèse aussi dans la balance. En fait, le risque global de rupture des barrages croît à mesure que les changements climatiques augmentent la fréquence et l’intensité des tempêtes dans certaines régions, car les anciens résidus peuvent se liquéfier ou se décomposer au fil du temps lorsqu’ils sont exposés à des pluies plus abondantes. D’après l’étude des risques physiques liés aux changements climatiques que nous sommes en mesure de mener grâce à notre relation avec la société spécialisée en science climatique Carbon Delta, nous constatons que les entreprises minières de la Malaisie, de l’Indonésie et de la Thaïlande pourraient être particulièrement exposées à des risques d’accroissement des précipitations.
Qui plus est, l’ampleur et les défis des projets d’exploitation minière ont nettement augmenté au cours des 30 dernières années, si l’on pense notamment au débit accru de matières et aux spécificités complexes des sites4. Donc, les conditions météorologiques liées aux changements climatiques pourraient bien se révéler le facteur de risque multiplicateur prépondérant dans le secteur au cours de la période où le coût de base d’exploitation des digues à rejets grimpe et que la qualité du minerai extrait des réserves qui arrivent à la fin de leur vie utile diminue.
La réglementation n’est pas uniforme
Dans certains pays en développement, la réglementation sur la gestion des résidus s’avère souvent inexistante ou très peu restrictive. D’ailleurs, pour l’heure, la réglementation et les pratiques relatives aux digues à rejets ne font l’objet d’aucun contrôle mondial. De ce fait, dans les pays où ces digues sont utilisées, nous nous attendons à voir les sociétés minières conserver leur approche actuelle plutôt que de consacrer davantage de capitaux à l’empilage de matériaux secs. Bien que les digues à rejets soient soumises à un processus de vérification dans la plupart des pays, la catastrophe vécue au Brésil a mis en évidence un manque de mesures pour assurer l’indépendance des vérificateurs par rapport aux sociétés minières.
Vu l’ampleur de l’effondrement du barrage de Feijão, nous assisterons sans doute, comme en témoignent les récentes mesures prises par le Brésil, à l’adoption de nouveaux règlements dans de nombreux États, ce qui se traduira par un plus grand nombre d’inspections et une considération accrue de la santé et de la sécurité. Autrement dit, les sociétés n’auront d’autre choix que de dépenser davantage de capitaux pour se conformer à une réglementation plus sévère.
Mobilisation des sociétés minières
En prévision de ces changements, nous structurons notre engagement avec les entreprises minières afin de mieux comprendre leur exposition à des risques de rupture de digues, et d’encourager une plus grande résilience face aux risques climatiques. Nous posons notamment les questions suivantes aux sociétés :
Quel pourcentage de vos digues sont construites en amont? Dans quels pays se trouvent-elles et quelle est la topographie de la région, y compris sa vulnérabilité aux conditions météorologiques extrêmes occasionnées par les changements climatiques?
Comment vous assurez-vous que les conditions d’exploitation de la digue restent conformes à la conception initiale – quant aux restrictions relatives au débit, au tonnage et à la hauteur – et que les digues mises hors service demeurent conformes?
Questions détaillées sur les facteurs de risque aggravants, dont la hauteur des digues, le volume contenu, la densité des agglomérations avoisinantes et les conditions météorologiques.
Quel est le degré de toxicité de la boue contenue dans vos digues?
À quelle fréquence vos digues sont-elles inspectées? Est-ce que certaines inspections sont effectuées par des tiers indépendants?
Quels sont les processus mis en place pour assurer l’indépendance complète du vérificateur et l’objectivité de ses rapports?
Le registre des risques organisationnels tient-il compte des risques associés aux digues à rejets et est-ce que la portée des risques est communiquée périodiquement au conseil d’administration ou au comité compétent?
Course au changement avant la prochaine catastrophe
La rupture récente d’une digue au Brésil illustre comment une mauvaise gouvernance, une piètre gestion des risques, les dangers propres à une zone géographique et les changements climatiques peuvent accroître l’un des principaux risques associés à un secteur économiquement vital. Les industries extractives contribuent grandement à l’économie mondiale. Or, les sociétés de ce secteur ont fréquemment manqué à leurs obligations en matière de gestion des risques, ce qui est en partie dû aux échecs des organismes gouvernementaux responsables de la surveillance réglementaire. Malheureusement, si l’on se fie au passé, d’autres désastres comme ceux de Feijão sont à venir. La réglementation et la mobilisation des investisseurs doivent vite s’intensifier tandis que les infrastructures vieillissantes se détériorent encore davantage sous l’effet de pressions économiques et des changements climatiques.
À ce chapitre, nous jugeons essentiel de ne pas sous-estimer l’importance de la mobilisation des sociétés, à la fois pour comprendre leur exposition aux risques et pour potentiellement réduire le risque absolu de nouvelles défaillances en aidant ces entités à adopter de meilleures pratiques de gestion des résidus. L’effondrement de la digue de Feijão lance un autre signal d’alarme pour le secteur minier. Vu l’influence que les gestionnaires de placements peuvent avoir dans leurs discussions avec les dirigeants de sociétés, il est impératif que Gestion d’actifs Manuvie et d’autres investisseurs usent de cet effet de levier pour rehausser les normes de gestion des risques.
1 Water Management Institute of the State of Minas Gerais (IGAM), février 2019. 2 Évaluation exclusive réalisée par Gestion d’actifs Manuvie. 3 tailings.info, mars 2019. 4 CLSA Blue Book, Tailings Dam – Risk Management Checklist for Investors, octobre 2016.
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