L’investissement guidé par le passif et le risque climatique: faire face à la réalité une étape à la fois
L’un des objectifs principaux des promoteurs de régime de retraite ayant recours à l’IGP est de minimiser les risques non rémunérés. En plus des risques traditionnels non rémunérés, tels que le risque de devise, de taux d’intérêt, d’inflation et de réinvestissement, un risque qui devient de plus en plus important est le risque climatique. Donc, la première étape pour se préparer à y faire face est de le comprendre afin de pouvoir évaluer son impact. La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons maintenant obtenir une panoplie de données liées au risque climatique relativement précises et fiables pour la majorité des émetteurs d’obligations.
En investissement guidé par le passif (IGP), en plus des risques non-rémunérés, les risques de défaut et de migration sont les plus importants. En effet, l’un des objectifs principaux d’une stratégie d’IGP est de s’assurer de recevoir les flux monétaires espérés afin de rencontrer les engagements du régime de retraite, c’est-à-dire de minimiser le risque de défaut. Quant au risque de migration, il s’explique par une société qui voit sa cote de crédit descendre en deçà de BBB et migre ainsi pour devenir un émetteur à rendement élevé (« high yield »). En quittant l’univers de placement d’obligations de qualité (« investment grade »), le dommage sur la performance d’une stratégie d’IGP est significatif, puisque, pour plusieurs stratégies d’IGP, cela signifie devoir vendre les obligations de la société dans des conditions qui ne sont pas nécessairement favorables.
Maintenir une bonne cote de crédit est donc primordial et, bien que des facteurs comme la santé du bilan et des marges bénéficiaires demeurent fondamentaux à l’analyse de crédit des émetteurs, l’impact des changements climatiques ajoute maintenant une nouvelle dimension à ce risque de migration.
Comprendre le risque climatique
Le risque climatique se présente sous trois formes pour les entreprises :
| Physique | Les risques physiques désignent les risques financiers découlant de la gravité et de la fréquence croissantes des phénomènes météorologiques extrêmes liés aux changements climatiques (c.-à-d. les risques physiques aigus), des changements graduels à long terme du climat (c.-à-d. les risques physiques chroniques) et des effets indirects des changements climatiques comme les répercussions sur la santé publique (p. ex. les répercussions sur la morbidité et la mortalité). |
| Transition | Les risques de transition désignent les risques financiers liés au processus d’ajustement vers une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre (GES). Ces risques peuvent découler des politiques gouvernementales, lois et règlements actuels ou futurs visant à limiter les émissions de GES, ainsi que des changements dans les sentiments du marché et des clients à l’égard d’une économie à faibles émissions de GES. |
| Opportunités technologiques | La transition vers une économie à faibles émissions de carbone peut présenter un potentiel de croissance inexploité pour les entreprises. Par exemple, les entreprises peuvent bénéficier de revenus supplémentaires si elles ont investi dans les technologies propres, ou seront en position de tirer parti d’opportunités si elles détiennent des brevets liés aux technologies propres. Cette composante peut donc se traduire en une contribution positive dans la valorisation d’une entreprise, et vient donc réduire le risque climatique. |
Le risque climatique est systémique (non diversifiable) et aura un impact sur presque toutes les compagnies à travers le monde. Cependant, l’ampleur de l’impact de ces trois éléments va dépendre de la façon dont nous abordons les changements climatiques en tant que société. Par exemple, l’impact de l’élément transition sera plus élevé dans un scénario où nous réussissons à limiter la hausse de la température à seulement 1.5 °C d’ici 2050, car cela voudra dire que des réglementations beaucoup plus strictes auront été mises en place pour y arriver.
Selon nous, le scénario le plus plausible est l’un des scénarios du Network for Greening the Financial System, qui stipule que la température augmentera de 2°C d’ici 2050 et que la transition se fera de façon inégale à travers les secteurs et les régions. Dans ce scénario, notre société tarde quelque peu à agir et doit donc resserrer la vis par la suite pour redresser la situation (une approche réactive plutôt que préventive). Ce scénario suggère un impact de l’élément transition relativement élevé, mais à plus long terme. Il signifie donc que les entreprises bénéficient d’une certaine période de grâce avant la mise en œuvre de politiques plus drastiques.
Dans un contexte d’IGP, un autre élément important à considérer est la structure de capital. En effet, puisque nous investissons dans des obligations, qui sont prioritaires dans la structure de capital devant les actions, le choc climatique est plus limité. L’impact d’une nouvelle politique ou d’un événement climatique est d’abord absorbé par une diminution de la valeur des capitaux propres et, si initialement la compagnie a un solide bilan et des flux de trésorerie stables, ses obligations et sa cote de crédit pourraient, en fait, rester intactes, comme cela est illustré pour la compagnie 1.
De plus, dans l’éventualité d’une faillite, les détenteurs d’obligations ont une certaine protection, car ils sont parmi les premiers investisseurs à être remboursés à même la disposition des actifs. Le taux de recouvrement moyen fréquemment utilisé dans la recherche est de 40 % lors d’une faillite; la perte de valeur d’une obligation se situera donc entre 0% et 60%.
Une compagnie avec un solide bilan est en mesure de mieux absorber un choc climatique
Mesurer le risque climatique
De nombreux fournisseurs de données et nombre de mesures de risque climatique sont présentement disponibles sur le marché. Nous en avons considérées et analysées plusieurs à ce jour, dont les données brutes associées aux émissions de GES, que ce soit en terme absolu ou en intensité, et qui peuvent être découpées en fonction de la chaîne de valeur, des émissions directes en amont de portée 1 jusqu’à celles indirectes produites en aval de portée 3, en passant par celles de consommation d’énergie de portée 2. Une des limites de ces données, qui sont pourtant tangibles, réside dans le fait qu’elles sont historiques et ne permettent pas de voir comment une entreprise gère son risque climatique, ce qui pourrait avoir une incidence sur sa valorisation future et par conséquent sur celle d’une stratégie d'IGP. De plus, ce type de données n’englobent pas nécessairement toutes les formes du risque climatique comme les opportunités technologiques.
C’est pour ces raisons que nous avons choisi de travailler avec une mesure prospective (« forward-looking »), qui aborde les trois formes de risque climatique décrites précédemment et qui est alignée avec les recommandations du Task Force on Climate Related Financial Disclosures (TCFD) pour des analyses de scénarios dans les portefeuilles de placements. La valeur à risque (VaR) climatique fournie par MSCI vise à mesurer, en pourcentage, l’impact négatif potentiel des effets du changement climatique sur la valorisation des émetteurs (au niveau de l’entreprise ou des actions) ou des titres individuels (au niveau des obligations) selon différents scénarios.
En date du 30 novembre 2022, la couverture des émetteurs de sociétés pour la VaR climatique s’élevait à 73 % au Canada (basé sur l’indice obligataire universel FTSE Canada) et à 92 % aux États-Unis (basé sur l’indice Bloomberg US Corporate Bond). Ces données sont également disponibles au niveau d’une majorité des titres obligataires individuels, donnant ainsi une granularité supplémentaire puisqu’elles tiennent compte de la maturité de ceux-ci. La VaR climatique est calculée à l’aide de données sous-jacentes brutes et quantifiables, telles que les émissions de GES, et utilise une méthodologie rigoureuse, offrant aux investisseurs des données relativement précises et fiables. Par ailleurs, il est à noter que nous continuons d’analyser et de valider avec notre équipe d’investissement durable l’évolution des différentes méthodologies provenant de différents fournisseurs de données.
En effet, bien que ces données soient séparées selon les trois aspects du risque climatique (physique, transition et opportunités technologiques), l’élément physique offre des résultats trop limités pour être intégré dans nos analyses pour le moment. Donc, à l’intérieur de nos premières études de cas d’intégration de VaR climatique, les conclusions ci-dessous se basent seulement sur les éléments transition et opportunités technologiques.
Conclusion 1 : la réalité des marchés obligataires canadien et américain est bien différente.
Bien que la VaR climatique totale soit légèrement inférieure pour le marché obligataire canadien, soit 6,0 % versus 6,6 %1, et que le Canada n’a seulement que deux secteurs qui pourraient être considérés à risque élevé (contre quatre pour les États-Unis), gérer le risque climatique des obligations de sociétés dans un mandat d’IGP est plus complexe pour un mandat canadien comparativement à un mandat américain.
À première vue, le marché obligataire de sociétés canadiennes est légèrement moins exposé au risque climatique
VaR climatique obligataire, moyenne pondérée, par secteur et au total (%)
En effet, plus de 35 % de l’univers d’obligations de sociétés canadiennes est représenté par des obligations à court terme du secteur des services financiers ex-assurance, ce qui réduit significativement la VaR climatique totale du marché canadien, puisque ces obligations à court terme ont une exposition au risque climatique pratiquement nulle. Il s’agit d’un élément important à noter, car un mandat d’IGP investit principalement dans des obligations à moyen et à long terme afin d’apparier la durée du passif, qui se situe généralement entre 12 et 25 ans, et ne peut donc pas utiliser beaucoup de ces obligations pour réduire le risque climatique autant que le ferait une stratégie traditionnelle d’obligations de sociétés.
En regardant les segments à plus long terme, qui représentent mieux l’univers de placement d’un mandat d’IGP, nous pouvons constater que le marché canadien est, en fait, plus exposé au risque climatique que le marché américain. Cela s’explique, entre autres, par une plus forte présence d’obligations à long terme au Canada de compagnies productrices de pétrole et de pipelines.
VaR climatiques des obligations de sociétés à plus long terme dans un contexte IGP (%)
|
Moyen terme |
Long terme |
Canada |
8,4 |
11,7 |
États-Unis |
5,7 |
8,8 |
Bien que d’autres facteurs soient à considérer, comme le risque de devise et l’atteinte des objectifs d’investissement, le marché obligataire américain représente, selon nous, une bonne option pour diversifier l’exposition de nos mandats d’IGP canadiens au risque climatique.
Conclusion 2 : la sélection de titres a plus d’impact que le positionnement sur la courbe
Sans surprise, il existe une relation directe entre le terme d’une obligation et son exposition au risque climatique (en général, plus le terme est long, plus la VaR climatique est élevée). Nous nous serions attendus, cependant, à ce que la différence soit plus marquée, surtout en considérant un scénario selon lequel la hausse de la température est limitée à 2°C. Par exemple, la différence entre une obligation qui arrive à échéance dans 20 ans et une autre dans 29 ans d’un même détaillant américain n’est que de 2 %. Parallèlement, la différence de la VaR climatique entre cette même obligation de 29 ans et celle d’un autre détaillant similaire de même terme est de 13 %.
Exemples de la distribution des VaR climatiques des obligations à moyen/long terme de deux grands détaillants américains
Ces résultats nous indiquent que, pour mitiger le risque climatique, il est plus efficace de sélectionner des compagnies avec des pratiques environnementales plus saines plutôt que d’investir dans une obligation de la même compagnie, mais avec une échéance de quelques années de moins. Lorsqu’elles sont faites de façon méticuleuse, la sélection de titres et l’allocation sectorielle permettent de réduire le risque climatique sans affecter la sensibilité aux taux d’intérêt, contrairement à un changement de positionnement sur la courbe.
Conclusion #3 : Les données de VaR climatique laissent place au jugement
Il est important de noter que les données de VaR climatique se basent uniquement sur des éléments quantitatifs disponibles à un moment précis et ne tiennent pas compte du potentiel et de l’engagement d’un émetteur à améliorer ses pratiques environnementales. Selon nous, deux nombres identiques de VaR climatique ne s’équivalent pas nécessairement et il y a place au jugement. L’analyse fondamentale et l’engagement auprès des émetteurs seront toujours un complément nécessaire à toute approche quantitative pour nuancer certains résultats. Par exemple, les deux émetteurs ci-dessous ont chacun une VaR climatique de 60 % (la pire VaR climatique possible), mais lorsque nous regardons les investissements faits par les deux compagnies au cours des dernières années et leur plan en matière de climat, il devient clair, selon nous, que le risque climatique de la Compagnie A est moins élevé que celui de la Compagnie B.
Compagnie A VaR climatique : 60% |
Cette compagnie produit de l’électricité principalement à partir de charbon et de gaz naturel et, pour cette raison, elle a une VaR climatique élevée.
Cependant, depuis 2009, la compagnie a commencé à investir des milliards de dollars en énergie renouvelable et planifie de continuer de se diversifier et de développer sa capacité de production d’énergie plus verte, ce qui est encourageant d’un point de vue du risque climatique. |
Compagnie B VaR climatique : 60% |
Cette compagnie est productrice de pétrole et, comme pour la majorité de ses pairs, sa VaR climatique est très élevée.
La stratégie de la compagnie pour réduire son empreinte environnementale repose presque entièrement sur la construction d’installations de séquestration du carbone, dont l’efficacité reste encore à prouver. D’un point de vue environnemental, c’est bien, mais d’un point de vue du risque climatique, c’est moins certain.
En effet, ses investissements en immobilisations continuent d’être principalement dédiés à ses projets pétroliers et la compagnie demeure très exposée à toutes réglementations potentielles ciblant ce secteur. Malheureusement, rien ne nous indique que son risque climatique diminuera dans un avenir proche et c’est le type d’émetteur que nous tentons d’éviter dans une optique de gestion du risque climatique, surtout dans un contexte où cette compagnie contribue davantage à l’émission de GES de portée 3 par ses utilisateurs. |
Il ne faudrait donc pas sous-estimer ce que l’intervention humaine apporte dans le processus décisionnel d’une stratégie IGP. En effet, être capable de distinguer les différentes nuances présentes dans les données (Compagnie A versus Compagnie B, par exemple) est crucial pour bien gérer le risque climatique.
Les prochaines étapes
Les changements climatiques ne sont certainement pas à prendre à la légère, tant au niveau sociétal qu’en IGP. En effet, le risque climatique fait maintenant partie intégrante du risque de migration et, bien que l’utilisation des données de VaR climatique nous donne un bon point de départ pour mieux cerner et gérer ce risque climatique, notre travail ne s’arrête pas là.
| Engagement | Nous avons le devoir en tant qu’investisseurs d’influencer positivement et guider les pratiques environnementales des entreprises pour atteindre un futur plus durable. Selon nous, exclure de facto tout émetteur ayant une VaR climatique élevée manque de perspective et pourrait, en fait, nuire à l’atteinte des objectifs d’investissement. Nous préférons utiliser notre position de proximité avec les dirigeants afin de nous engager auprès de ces compagnies et trouver des solutions ensemble pour que, ultimement, le risque climatique puisse tendre à diminuer à travers le temps. |
| Collaboration avec les fournisseurs de données | La collaboration entre les fournisseurs de données et les gestionnaires de portefeuille est la clé afin d’atteindre un niveau de fiabilité supérieur. Par exemple, nous avons pu contribuer à certaines consultations au sujet de l’amélioration de plusieurs modèles: risques physiques, probabilité de défaut dans la VaR climatique obligataire, intégration de la trajectoire de décarbonisation d’un émetteur dans le risque de transition, etc. |
En dernier lieu, l’aspect environnemental est souvent celui qui reçoit le plus d’attention parmi les trois facteurs ESG, mais les deux autres facteurs, sociaux et de gouvernance, ne sont jamais bien loin derrière. Allons-nous bientôt voir l’apparition d’une VaR sociale et de gouvernance, surtout lorsqu’on se penche sur d’autres enjeux systémiques, tels qu’en capital humain comme les droits humains et l’inégalité? Une chose est certaine, le degré de complexité de l’analyse et de la gestion du risque de migration des obligations de sociétés n’a pas fini d’augmenter, de sorte que de pouvoir établir un processus d’analyse de crédit rigoureux et méticuleux est devenu plus important que jamais pour les stratégies d'IGP.
1 Cela signifie une perte de valeur de 6 % dans un portefeuille contenant l’univers des obligations canadiennes de qualité contre une perte de 6,6 % dans un portefeuille obligataire américain.
Renseignements importants
Une crise généralisée dans le secteur de la santé, comme une pandémie mondiale, pourrait entraîner une forte volatilité des marchés, la suspension et la fermeture des opérations de change, et affecter le rendement des fonds. Par exemple, le nouveau coronavirus (COVID-19) a considérablement perturbé les activités commerciales à l’échelle mondiale. Les répercussions d’une crise sanitaire ainsi que d’autres épidémies et pandémies qui pourraient survenir à l’avenir pourraient avoir des répercussions sur l’économie mondiale qui ne sont pas nécessairement prévisibles à l’heure actuelle. Une crise sanitaire peut exacerber d’autres risques politiques, sociaux et économiques préexistants. Cela pourrait nuire au rendement du portefeuille, ce qui entraînerait des pertes sur votre placement.
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