Facteurs ESG : la durabilité devient systémique
Points à retenir
- Les limites de plus en plus apparentes du capital naturel inciteront les investisseurs à tirer parti des facteurs ESG pour comprendre dans quelle mesure les entreprises se sont fixé des objectifs économiques durables.
- L’engagement collaboratif viendra amplifier l’impact des investisseurs sur les questions ESG les plus urgentes de notre époque, à commencer par les émissions de carbone et les changements climatiques.
- Les gestionnaires actifs ne peuvent plus passer à côté d’une certaine forme d’analyse des facteurs ESG, mais ceux qui opteront pour une analyse ESG de grande qualité devraient tirer leur épingle du jeu dans un contexte de systématisation des données financières qui continue de réduire l’espace dans lequel ils peuvent générer de la valeur ajoutée pour leurs clients.
Recensement des occasions de croissance durable
En 2018, le monde a clairement constaté que nous commencions à toucher les limites de nos ressources naturelles, que l’on parle de la disponibilité des ressources en eau potable, qui risque de tomber à un tiers des niveaux de 2015 en milieu urbain d’ici 20501, ou de la résistance des écosystèmes à l’appauvrissement de la biodiversité, ou de la diminution marquée de la capacité de la terre à absorber l’augmentation de notre empreinte carbone collective2. Ces limites de notre capital naturel devenant de plus en plus apparentes, nous devons apprendre à regarder au-delà des risques financiers à court terme.
On se tourne désormais vers l’analyse des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour tenter de dresser le portrait des occasions de croissance durables. Plus les grands propriétaires d’actifs deviendront conscients de leurs responsabilités sociales, plus ils tenteront d’obtenir des résultats de placement qui généreront de la richesse à long terme tout en façonnant un monde meilleur. La recherche, l’analyse et l’intégration des facteurs ESG sont selon nous appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans la définition des contours de cet avenir durable en 2019 et par la suite.
Passer d’une atténuation des risques événementielle à des placements à visées durables
La recherche, l’analyse et l’intégration des facteurs ESG ont largement contribué à transformer les pratiques contemporaines de gestion d’actifs à l’échelle mondiale et sont désormais des incontournables dans la quête de rendements corrigés du risque attrayants.
La tendance est amplifiée par la prolifération rapide de fournisseurs tiers de données ESG, d’indices de référence et de déclarations ESG. Quel serait l’impact d’un choc des prix du carbone, d’un arrêt de travail ou d’un rappel des produits de certaines entreprises sur mon portefeuille? En quoi devrions-nous modifier nos prévisions de bénéfices pour une banque donnée en cas de nouvelle atteinte à la sécurité des données? Dans quelle mesure une pollution accidentelle majeure risquerait-elle de se répercuter sur les engagements d’une société de services publics donnée? Il s’agit là de questions réelles sur les effets des facteurs ESG sur les ratios de valorisation des entreprises. Toutefois, réduire l’analyse ESG à une perspective à court terme a pour effet de tronquer le message plus large que peuvent nous transmettre les facteurs ESG sur les effets durables à long terme des « activités habituelles ».
De nouvelles méthodes de modélisation des risques de portefeuille
Les gestionnaires d’actifs commencent à mieux comprendre que les mesures d’atténuation des risques que nous utilisons pour évaluer les sociétés ne permettent pas toujours de vraiment savoir si ces dernières sont prêtes à faire face à la nature systémique de certaines questions environnementales importantes. Notre secteur doit donc réfléchir à une définition mondiale et absolue du concept de retombée économique durable. Les gestionnaires d’actifs s’efforcent d’évaluer si des entreprises données ont fait leurs certains objectifs de développement durable à long terme : par exemple, utilisent-elles des cibles de réduction de leurs émissions de carbone fondées sur des données scientifiques et conformes au concept de budget carbone mondial?
Parmi les exemples les plus éloquents de mesures prises pour favoriser un tel élargissement de perspective figure le consortium d’investisseurs mondiaux, constitué à l’initiative du projet pilote Initiative Finance du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement, lequel porte sur la transmission d’informations sur les scénarios de changements climatiques par les gestionnaires de placement, et dont Gestion de placements Manuvie est membre³. Ce travail débouchera sur un ensemble d’informations sur les risques financiers associés aux changements climatiques, qui respecteront les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC) du Conseil de stabilité financière⁴. En 2019, nous contribuerons à la diffusion de cette importante nouvelle étape qui permettra d’expliquer comment différents scénarios de changements climatiques pourront faire la différence entre gagnants et perdants au sein des portefeuilles.
Nous sommes convaincus que ce travail révolutionnaire aidera grandement les plus de 1 900 signataires des Principes des Nations Unies pour l’investissement responsable et les douzaines d’investisseurs qui ont déjà témoigné publiquement de leur soutien au GIFCC⁵. Nous espérons en outre que cela se traduira par une amélioration de la transparence des gestionnaires d’actifs quant à leur exposition aux changements climatiques à une époque où il devient de plus en plus urgent pour le monde de mettre l’accent sur un développement plus durable.
Repenser l’engagement
Depuis la récente publication d’une recherche de l’initiative PRI selon laquelle le fait d’échanger avec les entreprises sur les questions de durabilité permettrait d’augmenter les rendements des investisseurs⁶, on observe un accroissement rapide de l’intérêt pour les facteurs ESG et des discussions sur ces questions dans le secteur des placements. Nous notons deux tendances dans ce domaine. Premièrement, à mesure que la pratique de l’engagement collaboratif se développe parmi les investisseurs, notre empreinte sur les entreprises figurant dans notre sphère d’influence collective se renforce. La deuxième tendance concerne les thèmes ESG faisant l’objet d’échanges au sein des chaînes de valeur : on observe une diminution des interventions ad hoc, moins efficaces, en faveur de méthodes d’observation et d’intervention plus globales sur la nature systémique de la durabilité.
L’engagement collaboratif des investisseurs
Certains gestionnaires d’actifs comptent désormais des décennies d’expérience dans le domaine de l’intégration des facteurs ESG, qui prend souvent la forme d’échanges bilatéraux avec une société donnée, mais, en 2019, le secteur continuera de réfléchir à la meilleure façon de collaborer pour atteindre des résultats durables dans l’intérêt collectif à la fois des entreprises et de la communauté de placement. Parmi ces initiatives de collaboration, on retrouve le projet Climate Action 100+, dont Gestion de placements Manuvie est membre du comité de direction. Ce groupe de 310 gestionnaires d’actifs de partout dans le monde, dont le nombre ne cesse de croître, représente un capital de placement de 32 000 milliards de dollars américains et constitue la plus importante initiative d’engagement collaboratif lancée par des investisseurs jamais mise sur pied⁷.
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à publier des rapports environnementaux
Croissance des rapports environnementaux des entreprises depuis 1999
Source : KPMG, Survey of Corporate Responsibility Reporting, 2017. N100 correspond à un échantillon mondial de 4 900 entreprises représentant les 100 premières sociétés par le chiffre d’affaires de chacun des 49 pays couverts par l’étude de KPMG. Il donne un aperçu de l’information sur la responsabilité sociale fournie par les entreprises à grande et moyenne capitalisation à travers le monde. G250 correspond aux 250 plus grandes entreprises mondiales par le chiffre d’affaires, d’après le classement de Fortune 500 pour 2016. Les grandes entreprises mondiales ont tendance à donner l’exemple en matière d’information sur la responsabilité sociale et leur comportement est souvent annonciateur de tendances qui seront généralisées par la suite.
L’un des principaux objectifs de Climate Action 100+ consiste à établir de nouvelles normes d’échanges avec les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre du monde. L’envoi d’un message cohérent par un groupe d’investisseurs aussi important et influent permet de s’assurer que les entreprises prennent des mesures plus ambitieuses pour réduire leurs émissions, améliorer leurs informations financières relatives au climat et perfectionner le traitement des questions liées aux changements climatiques. L’initiative Climate Action 100+ a déjà d’importants succès à son actif : par exemple, à la fin de 2018, Royal Dutch Shell a fait part de son intention de se doter de cibles et de mesures incitatives à court terme pour l’aider à réduire son empreinte carbone nette; la société a indiqué que cette décision, qui s’impose comme une nouvelle norme pour l’industrie pétrolière et gazière, lui avait été inspirée par les travaux du groupe Climate Action 100+.
À la lumière de cet exemple, nous anticipons une accélération de l’impact global des initiatives d’engagement collaboratif en 2019 et nous nous attendons à ce que les leçons tirées de l’initiative Climate Action 100+ inspirent d’autres projets collaboratifs portant sur les questions ESG, au-delà des changements climatiques. Ce type de travail collaboratif peut même aider les entreprises à mieux s’y retrouver au milieu de toute la confusion entourant les attentes relatives aux pratiques en matière de développement durable.
Thèmes ESG faisant l’objet d’échanges au sein des chaînes de valeur
Au cours de l’année qui vient, nous prévoyons assister à une multiplication d’échanges systématiques sur certains thèmes environnementaux au sein des chaînes de valeur. Cela s’explique par la maturation du secteur à l’égard de l’importance de ces échanges, ainsi que par la recherche de modes de conversation plus efficaces et débouchant sur de meilleurs résultats sur le plan à la fois des rendements de placement et du développement durable.
L’huile de palme est un bon exemple : elle constituait depuis longtemps un sujet de préoccupation pour les investisseurs axés sur les facteurs ESG en raison de ses liens avec la déforestation et les feux de forêt et des conditions de travail médiocres du secteur. L’expérience montre qu’en étendant la portée de l’engagement des producteurs et des négociants au secteur bancaire en Asie, on peut aider à sensibiliser certaines parties de la chaîne de valeur à l’importance d’agir de façon conjointe pour résoudre certaines difficultés économiques ayant un effet important sur l’environnement. Cela s’est traduit par une amélioration de l’information de ces banques sur les facteurs ESG et par un dialogue plus ouvert avec les investisseurs sur les informations attendues.
« Au cours de l’année qui vient, nous prévoyons assister à une multiplication d’échanges systématiques sur certains thèmes environnementaux au sein des chaînes de valeur. »
En 2019, deux nouveaux problèmes devraient occuper le devant de la scène. Premièrement, le problème des déchets de matières plastiques retient beaucoup l’attention à l’échelle mondiale, le public étant désormais plus conscient des montagnes de déchets de matières plastiques qui empoisonnent progressivement des pans entiers des océans. Pour faire progresser les choses dans ce domaine, il faudra plus que simplement faire pression sur les entreprises qui utilisent des emballages de plastique. Les investisseurs doivent également discuter avec les fabricants d’emballages, avec les sociétés de produits chimiques qui fournissent la matière première à haute teneur en carbone qui sert à la fabrication du plastique, et avec les détaillants qui distribuent les biens de consommation. La difficulté consistera à trouver le moyen de travailler avec les différents modèles d’affaires que l’on retrouve dans la chaîne de valeur pour favoriser une meilleure circularité de l’utilisation des ressources naturelles, et de le faire de manière à encourager des entreprises habituées à l’omniprésence du plastique à modifier leurs habitudes.
En outre, apprendre à échanger plus intelligemment au sein des chaînes de valeur ne se limite pas aux actifs physiques comme l’huile de palme ou le plastique. Cela s’applique également à des actifs plus abstraits, comme les données, et à la façon dont ils sont produits, conservés et utilisés, dans quasiment tous les secteurs de l’économie. Il y a moins d’une dizaine d’années, les questions de cybersécurité étaient généralement considérées comme un risque limité aux sociétés de technologies de l’information. Mais, après les piratages massifs de données subis par Equifax, Target, Sony, Wells Fargo et Facebook, il est facile de voir que ces questions concernent finalement toute l’économie mondiale. En 2019, nous pensons que les investisseurs, par le biais d’initiatives collaboratives et parce qu’ils seront mieux informés sur les questions de cybersécurité, exigeront davantage de transparence en ce qui a trait aux cyberrisques et voudront plus de compétences en la matière au sein des conseils d’administration des entreprises.
Investissement socialement responsable : l’avenir de la gestion active
À l’aube de 2019, une question reste pertinente : comment les gestionnaires actifs peuvent-ils continuer à générer de la valeur ajoutée quand la systématisation de l’analyse et des données financières est de plus en plus la norme? Si la gestion active consiste à générer de la valeur tangible à partir de connaissances intangibles, nous pensons que l’intégration systématique des facteurs ESG à tous les aspects du processus de placement pourrait permettre aux gestionnaires actifs de se façonner un créneau durable.
Analyse ESG de données préfinancières
ESG est un acronyme qui concerne l’analyse de tout ce qui est pertinent, mais qui ne figure pas dans le bilan ni dans l’état des résultats des entreprises à l’heure actuelle. Les professionnels du secteur des placements parlent souvent de données « non financières » pour désigner des données ESG, mais il s’agit selon nous davantage de données préfinancières, soit de facteurs qui finiront par s’exprimer en termes de valeur financière, qu’ils enlèveront ou qu’ils ajouteront au bilan de la société.
Les taux de rotation des employés sont un exemple de données préfinancières. À l’heure actuelle, cette rotation n’est pas considérée comme une donnée financière au bilan. Mais, si l’entreprise devait conserver un taux de rotation systématiquement supérieur à celui des autres sociétés du secteur, il finirait (dans notre monde de pénurie de main-d’œuvre) par revêtir une véritable dimension financière et pourrait même aller jusqu’à modifier la valorisation fondamentale de l’entreprise. À mesure que les employés défileront, les salaires dans l’entreprise auront tendance à monter, tant pour attirer de nouveaux candidats que pour retenir les employés en poste (probablement malheureux). L’entreprise aura de ce fait du mal à maintenir le niveau de productivité de ses employés, mesuré par différents ratios (comme le rapport entre la masse salariale et le chiffre d’affaires). Le taux de rotation des employés est donc selon nous un indicateur préfinancier potentiel de l’efficacité de l’utilisation par l’entreprise de son capital humain.
« Dans un monde où les données financières sont de plus en plus perçues comme une marchandise intégrée à des applications de placement passives, une analyse de grande qualité des facteurs ESG demeure un domaine clé dans lequel les gestionnaires actifs peuvent se distinguer. »
Complémentarité des approches ESG active et passive
L’intégration des facteurs ESG fournit les cadres structurés nécessaires à l’évaluation des données préfinancières. Mais ces cadres, parce qu’ils portent sur des idées subjectives et ciblent des domaines de connaissance largement hypothétiques et profondément humains, doivent être exploités par une intelligence humaine et constamment raffinés à mesure que le monde évolue. Les données ESG continuent de faire l’objet de nombreuses interférences et il faut du contexte pour en saisir efficacement les éléments implicites.
Les gestionnaires actifs peuvent compléter les données ESG en provenance de tiers ou d’une société en engageant la conversation pour exposer une vision globale des risques et des occasions. Dans un monde où les données financières sont de plus en plus perçues comme une marchandise intégrée à des applications de placement passives, une analyse de grande qualité des facteurs ESG demeure un domaine clé dans lequel les gestionnaires actifs peuvent se distinguer.
Toutefois, la croissance des pratiques ESG dans l’investissement passif peut être vue comme un complément à l’évolution des facteurs ESG appliqués à la gestion active. Premièrement, les indices ESG offrent de nouveaux indices de référence qui permettent aux gestionnaires d’actifs de se concentrer sur les sociétés affichant les stratégies de développement durable et les résultats les plus solides, et de gérer l’impact environnemental de leurs placements et d’en faire rapport parallèlement aux résultats financiers. Deuxièmement, les investisseurs passifs doivent « posséder l’indice » et ont donc intérêt à réduire le risque absolu de manière égale au sein de l’indice. La gestion active présente l’avantage d’interventions et d’engagements plus en profondeur, dans le cadre de portefeuilles plus concentrés, et le gestionnaire peut répartir le capital en réaction aux éléments de risque et de valeur ESG d’une entreprise. L’essor des deux approches sur nos marchés financiers peut contribuer significativement à l’atteinte de résultats économiques durables.
1 « High and Dry: Climate Change, Water, and the Economy », Banque mondiale, 2016, http://www.worldbank.org/en/topic/water/publication/high-and-dry-climate-change-water-and-the-economy. 2 Voir notamment le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies sur les répercussions du réchauffement climatique, octobre 2018, https://www.ipcc.ch; et le document National ClimateAssessment, rédigé en collaboration par différentes agences gouvernementales américaines, novembre 2018, https://www.globalchange.gov/nca. 3 http://www.unepfi.org/investment/tcfd/, 25 mars 2018. 4 Le GIFCC travaille à l’élaboration d’un ensemble uniforme d’informations à fournir à titre volontaire relativement aux risques financiers associés aux changements climatiques. Les entreprises les utiliseront pour renseigner les investisseurs, assureurs, prêteurs et autres parties prenantes,https://www.fsb-tcfd.org/, 4 décembre 2015. 5 Entités ayant manifesté leur soutien au GIFCC, One Planet Summit, septembre 2018,https://www.fsb-tcfd.org/tcfd-supporters/. 6 Voir le rapport de l’initiative PRI, « How ESG Engagement Creates Value for Investors and Companies », avril 2018,https://www.unpri.org/download?ac=4637. 7 Climate Action 100+,http://www.climateaction100.org/, décembre 2018.
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